Les universités populaires : un nouveau mouvement social ?
Michel Tozzi, professeur des universités à Montpellier 3, est co-fondateur des universités populaires de Narbonne (2004) et Perpignan (2006). Il a été responsable syndical SGEN-CFDT de 1976 à 1993.
Le mouvement est ancien en Europe (c’était un peu l’idée des Ecoles Centrales de
Actualisé par les Bourses du travail à la fin du XIXe, puis relancé sous le Front Populaire, il prend un nouveau visage critique avec l’initiative déterminante de Michel Onfray de créer une université populaire (UP) en 2002 à Caen. Dans ce sillage se sont créées des UP à Arras, Narbonne, Lyon, Avignon, Montpellier, l’an prochain à Toulouse…
C’est dans la lignée des courants de l’Education populaire, l’utopie de mettre les savoirs de l’université dans les mains du peuple, avec la difficulté de le faire effectivement venir.
Pas de pré-requis, de cursus, de niveau, d’examen et une formation de qualité universitaire. Pas de frais d’inscription pour participer et bénévolat des animateurs. Un îlot de gratuité dans un océan de capitalisme. Une forme de militance moderne, avec de la culture et non une carte à la clef.
On tente d’y vulgariser des savoirs critiques qui donnent une intelligibilité du monde contemporain et donnent des clefs pour le transformer plus humainement. Les intervenants, généralement situés à gauche ou à l’extrême gauche, sont souvent connus pour leurs analyses et leurs engagements intellectuels et sociaux (par exemple Corcuff à Lyon).
Sur le contenu, on trouve de la philo, de l’histoire, du droit, de la socio…, bref, les sciences humaines. Y aura-t-il un démarrage des apports d’autres sciences ? Sur la méthode, ça passe souvent par des cours suivis de débats : pour Michel Onfray, c’est une heure d’apport (pour éviter l’improvisation) et une heure d’échange (pour ne pas s’en tenir à du magistral) ; mais il y aussi les ateliers de philo pour enfants de G. Geneviève. D’autres UP introduisent des ateliers pour adultes.
Il y a entre autres un pôle local (archéologie, vigne et rugby…), un pôle civilisationnel sur la compréhension des religions. Je suis responsable du pôle philo : conférences sur la bioéthique, atelier de philo pour enfants. J’anime l’atelier philo pour adultes, où l’on travaille à raison d’une séance de deux heures un samedi matin par mois depuis trois ans sur le « rapport de l’homme au temps » : il y a chaque fois une courte introduction référencée ou un texte de philosophe, puis une discussion avec « président et reformulateur », une écriture de textes par les participants et la lecture de leurs textes par les volontaires.
À l’UP de Perpignan, en cohérence avec les autres disciplines (il y a une approche critique de l’économie, une histoire juridique des discriminations), j’ai choisi de travailler sur une « approche philosophique de la précarité » (existentielle, affective, sociale, de l’espèce…).
Elles fleurissent comme roses au printemps. C’est de saison ! Il n’y a pas une organisation qui chapeaute. Ça répond à un besoin, comme les Cafés philo depuis quinze ans : une soif de culture et de réflexion personnelle et collective, pour comprendre et mieux s’orienter dans un monde opaque, complexe, sous des formes moins conventionnelles, sans le carcan des institutions. Mais ça peut former réseau.
Nous avons été invités au premier Printemps des Universités populaires à Lyon en juin 2006 : le sujet était sérieux, sur « la force et les faiblesses de l’idéologie des Lumières » et ce que celle-ci pourrait être aujourd’hui. On a fait connaissance entre UP de manière informelle.
Il faut aller plus loin, car nous avons conscience de faire partie d’un mouvement plus large. Les UP de Narbonne et de Perpignan coorganisent un second Printemps des UP les 22, 23, 24 juin. Le vendredi après-midi à Narbonne, on se demandera : « Des UP, pourquoi et comment ? », pour mieux comprendre ce que nous faisons, individuellement et collectivement. Car il ne suffit pas de faire pour comprendre la portée de ses actes. Le lendemain, on traitera de la problématique de la modernité. Ce concept permet-il de comprendre le monde actuel ? Quels sont ses usages sociaux ? Quels sont les savoirs critiques sur la modernité ? Comment rendre disponibles à tous ces savoirs critiques ? Le dimanche à Perpignan, nous confronterons nos idées avec l’expérience très ancienne des UP catalanes.
L’UP pour moi, militant des Cahiers pédagogiques et innovateur en didactique de la philosophie, c’est un fantastique laboratoire d’expérimentation sociale et d’innovation pédagogique, dans la continuité de l’Education nouvelle, car on est l’Instituant et non l’Institué.
Propos recueillis par Marie-Paule Berthon (pour "Profession Education" mars 2007)