Une poste qui veut « vendre, vendre »
Cinq syndicats de La Poste appellent à la grève contre la privatisation. Hier, les guichetiers parisiens ont ouvert le mouvement, pour protester contre la dérive commerciale.
Des enveloppes « prêt à poster », des colis, mais aussi des livres, des cartes téléphoniques, des petites voitures, des stylos, des porte-clés, des DVD, des peluches… On n’est pas au bazar du coin, mais dans un bureau de Poste dernière génération. Car pendant que le gouvernement continue de marteler que La Poste n’est absolument pas en voie de privatisation, celle-ci gagne du terrain dans le fonctionnement de l’entreprise. La vente qui rapporte, supplantant allégrement le service au public qui ne rapporte rien. « Maintenant, il faut vendre, vendre, vendre » : l’expression revenait souvent, hier, dans la bouche des guichetiers de Paris, présents au rassemblement devant l’Hôtel des Postes de la rue du Louvre. En avant-goût du mouvement national d’aujourd’hui contre la privatisation (voir ci-dessous), quatre syndicats parisiens (CGT, SUD, FO, CFTC), ont lancé un mouvement de grève reconductible dans les 185 bureaux de Poste de Paris, pour protester contre leur transformation en véritables boutiques, aux dépens du service public mais aussi des conditions de vie des agents.
Chercher les guichets
Bureau par bureau, dans la capitale et dans les grandes villes, la direction applique depuis un an une restructuration joliment appelée Bienvenue à La Poste, mais qui donne plutôt envie de fuir. « Jusqu’à présent, la Poste avait installé un coin boutique dans chaque bureau de poste, mais ça se limitait à quelques présentoirs, explique Olivier Gault, de la CGT. Maintenant au contraire, vous entrez dans un véritable magasin, et tout au fond ou dans un coin, il faut chercher les guichets. Et quand un bureau rouvre après rénovation, le nombre de guichets est divisé par deux ».
Fini, donc, les guichets toutes opérations : les clients qui achètent des produits peuvent payer sur des automates ou aux caisses de l’espace de vente. Mais pour les usagers qui veulent faire une opération sur leur compte (essentiellement des clients modestes sur leur Livret A), la file d’attente au guichet « financier » s’allonge. Au passage, la direction étend l’horaire d’ouverture des bureaux de19 heures à 20 heures, sauf pour les opérations financières, naturellement. Et alors que cette extension aurait pu et dû entraîner des embauches, La Poste a flexibilisé les horaires de travail des agents, pour au contraire pouvoir supprimer des emplois.
Privatisation avant l’heure
C’est contre ce cocktail que les quinze guichetiers du bureau de poste de Château- Rouge, dans le 18e arrondissement, ont entamé une grève le 7 septembre, jour où devait s’appliquer « Bienvenue ».
« C’est une lutte exemplaire et symbolique, car dans ce bureau d’un quartier populaire, où défilent 1 000 usagers par jour, La Poste veut supprimer quatre emplois. C’est la privatisation avant l’heure », a salué hier au micro Stéphane Charnacé, de SUD PTT. De quatre guichets, La Poste veut passer à deux, alors que la plupart des usagers, d’origine étrangère, sont obligés de passer par là pour envoyer un mandat à l’étranger, ou parce qu’ils maîtrisent mal le français. « Actuellement, le temps d’attente est déjà d’une heure ou une heure et demi, dans un bureau surchauffé, explique l’un d’entre eux. C’est déjà hyper stressant et il y a souvent des agressions. Comment ça sera si on ferme deux guichets ? » Dans les bureaux où Bienvenue s’applique déjà, les problèmes sont nombreux. « On n’a plus de visibilité sur nos horaires dans quinze jours, c’est un casse-tête pour la vie de famille, la garde des enfants », explique une gréviste du bureau du Temple, qui arrive chez elle à 21h30 après le travail. Autre innovation, les agents postés dans l’espace de vente travaillent debout, au milieu des clients… à l’instar des vendeurs de France Télécom dans leurs boutiques. « Debout toute la journée, alors que la moyenne d’âge est de quarante-sept ans, on aura des problèmes dorsaux et veineux », dénonce Paul Diraison, représentant CGT au Comité hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT) de La Poste. « Tout ce que la direction a répondu, c’est qu’elle fera acheter des bas de contention, et que pour le reste il y a la mutuelle ».
Fanny Doumayrou