Rions un peu…
Par Chrisitian Authier, journaliste et écrivain.
Les nouveaux accords de Grenelle signent le mariage de l'écologie et de l'économie pour des perspectives pleines de promesses…Ce bref rappel pour éclairer le curieux «parrainage» de notre grand forum sur les questions écologiques placé donc symboliquement sous le signe de la consommation et du pouvoir d'achat. Nous sommes ainsi passés chez nous au «Grenelle de l'environnement» en sautant la case «mai 68 de l'environnement» et l'on voit aujourd'hui un gouvernement de droite mettre en place une réflexion et une batterie de mesures (inoffensives mais visibles) qu'aucun autre gouvernement n'avait osé initier. La faute à nos écologistes professionnels qui, depuis des années, noient leur message environnemental sous les engagements politiques dont on ne cerne guère l'enjeu écologique (voir, par exemple, l'enthousiasme de nombre de Verts lors des bombardements de l'OTAN - assez peu respectueux de la nature et des humains - sur
De manière plus générale, on a entendu nos boutiquiers politiciens écolos à propos des sans-papiers, du mariage homosexuel ou des marchandages électoraux avec le PS. Rarement à propos de l'écologie. Nulle surprise alors à ce qu'un employé de TF1 et de Rhône-Poulenc, M. Hulot, les ait supplantés médiatiquement et politiquement le temps d'une campagne présidentielle… Quant aux écologistes les plus radicaux, type arracheurs d'OGM, ils sont tout aussi pathétiques. Ces arrachages, certes illégaux, peuvent se légitimer à condition que leurs auteurs assument leurs actes, ne pleurnichent pas ensuite devant les journalistes et les juges tout en quémandant des grâces présidentielles.
Qui a éteint les lumières ?
Face à ce désert écologique, une nouvelle race d'écolos a surgi : people, artistes, leaders d'opinion, voire même un ancien numéro 2 (Al Gore) de l'un des pays les plus pollueurs de la planète… Dans la droite ligne de cette écologie-spectacle s'inscrit le grand Barnum du Grenelle de l'environnement. Au terme de multiples et médiatiques débats, le gouvernement a présenté un catalogue de bonnes intentions et de promesses, parmi lesquelles la mise en place d'une taxe carbone. Mieux que rien, diront certains, mais pas grand-chose de plus que rien avec des «objectifs» très modestes : 6% de cultures bio pour les surfaces agricoles utiles d'ici 2012, suspension de la culture des seuls OGM pesticides, un repas issu de l'agriculture biologique une fois par semaine dans les cantines publiques…
À l'image de ce repas hebdomadaire «sain» perdu dans un quotidien de bouffe industrielle, on a l'impression d'assister là à une vaste opération de communication politique masquant son cynisme dans la bonne conscience affichée, comme en témoignait l'opération «5 minutes de répit pour la planète» du mardi 23 octobre appelant les Français à éteindre leurs lumières durant cinq minutes avant 20 heures… Donnant l'exemple, l'Élysée a plongé dans le noir ses couloirs, son vestibule et ses bureaux. Même la petite lumière placée sous le drapeau flottant sur le plateau présidentiel avait été éteinte… Au-delà de ces simagrées qui font rire ou pleurer, selon l'humeur de l'instant, la morale des promoteurs et acteurs du Grenelle de l'environnement peut se résumer au bulletin de victoire annoncé par Laurence Parisot du Medef se félicitant que le raout ait permis «d'intégrer l'impératif économique et l'impératif écologique». Magnifique exemple de novlangue orwellienne que l'on rangera aux côtés du «développement durable», des «bombardements humanitaires» et autres «guerres propres» tant cet art de marier les contraires traduit la tragédie de l'époque : déplorer des maux et des conséquences dont on persiste à vouloir les causes.
Cette fuite en avant du «développement» et de la «croissance» est abordée dans le formidable dernier essai de Jean-Claude Michéa, « L'Empire du moindre mal », où l'on peut lire un extrait d'un discours de Robert Kennedy, peu avant son assassinat, sur le PIB : «Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l'air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur la route (…) Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique (…) En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l'intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue.»
En fait, le seul discours écologiste responsable et réaliste consisterait, par exemple, à dire que lorsque deux milliards d'Indiens et de Chinois auront chacun leur voiture tandis que les enfants repus de l'Occident continueront de se promener en 4x4, il n'y aura plus besoin de Grenelle de l'environnement ni de célébrer les noces de l'économie et de l'écologie. Plus rien ne sera même nécessaire car nous serons tous morts. Eteignons donc les lumières cinq minutes et rions un peu en attendant la mort…
Source :
http://www.marianne2.fr