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Après son double échec aux élections présidentielles puis législatives, la gauche est entrée dans ce moment identifié par Gramsci comme le point critique d’une crise : le vieux est maintenant mort et le neuf hésite toujours à naître. L’élection présidentielle a achevé un cycle dans le désordre intellectuel, la confusion idéologique, le morcellement sociologique et la division partisane. La gauche serait soudain devenue le parti de l’ordre ancien, quand la droite arrivait à convaincre nombre d’électeurs qu’elle incarnait le camp du mouvement.
C'est à une grande transhumance idéologique que nous avons assisté lors de la campagne présidentielle. Cette migration vers la droite d’une gauche en perte de repères, est illustrée par la colonisation de nos discours par des valeurs et des références puisées dans le patrimoine intellectuel traditionnel des conservateurs. Par soumission à l’air du temps, par abandon d’une réflexion qui aille au-delà des seules apparences ou des fausses évidences, la gauche a en effet défendu la compétition individuelle et la restauration de la « valeur travail » au lieu de l’augmentation du pouvoir d’achat ou encore un curieux échange « effort contre progrès social » plutôt que la conquête de nouveaux droits…
Ce consensus entre droite et gauche, ce diagnostic politique « partagé » des maux de la société française, résume la défaite culturelle de la gauche. La gauche a d’ores et déjà perdu l’élection de 2012 si elle esquive la clarification de son projet, si elle échoue à expliquer pourquoi cette vision de
L’observation de la demande sociale montre pourtant l’aggravation des inégalités et la conscience d’une paupérisation croissante. L’opinion fait encore, sans aucun doute, confiance à la gauche pour résoudre ses difficultés de logement, de pouvoir d’achat ou de santé, tout ce qui concerne sa « protection ». Constatons cependant la popularité du slogan « travailler plus pour gagner plus » qui s’explique par la faiblesse du pouvoir d’achat, l’intériorisation de l’arbitrage entre salaire et emploi à l’heure de la mondialisation et la dénonciation récurrente des populations les plus précaires maintenant qualifiées de « parasites » vivant de « l’assistanat ». La gauche risque de devenir et pour longtemps, culturellement minoritaire. Et ce, tant que les solutions qu’elle propose pour faire vivre les valeurs qu’elle incarne seront jugées moins efficaces que celles de la droite pour répondre aux difficultés quotidiennes de ceux qu’elle veut représenter en priorité : ceux qui dépendent pour vivre du revenu de leur travail. Cette réalité est la conséquence d’un processus économique néolibéral, social et culturel, qui s’est d’autant plus facilement imposé que la social-démocratie s’est avérée incapable de repenser ses modèles, créant ainsi une situation inédite où les travailleurs ont connu l’infortune du plaignant qui se retrouve dans la situation de l’accusé.