Lu dans l’huma
Service maximum pour les conducteurs de bus
RATP. En attendant les conclusions de l’enquête sur l’accident survenu mardi 14 août, le malaise est grand parmi les collègues du conducteur accidenté
« Ça devait arriver. Aujourd’hui ce n’est plus la sécurité qui prime, c’est la rentabilité », déplore Joss Treuillard, responsable CGT-Bus au dépôt d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le rapport d’enquête sur l’accident survenu mardi dernier en Seine-Saint-Denis et blessant 14 personnes, devrait bientôt être rendu public. « Bien sûr, nous attendons ses conclusions mais on ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec la constante dégradation des conditions de travail à la RATP », explique le syndicaliste. Mise en cause par certains témoins, la question de la vitesse est dans tous les esprits. « Depuis quelques années, les temps de parcours se calculent par la moyenne des temps réalisés par les bus sur le même trajet. On ne prend même pas en compte les limitations de vitesse, alors qu’en formation, on nous explique qu’on ne doit pas dépasser les 50 km/h. Pour les Noctiliens (bus de nuit), c’est pire, les temps sont définis avec de simples voitures ! », dénonce le délégué du personnel, David Chevallier.
Climat d’espionnite
Ces pratiques visant à améliorer la « vitesse commerciale » engendrent des cadences inconciliables avec un trafic parisien de plus en plus dense. De plus, les conducteurs se sont récemment vu attribuer de nouvelles missions, résumées dans ce que la RATP appelle la « bus attitude ». « Il y a dix ans, notre boulot c’était la conduite. Maintenant, il faut assurer la « B.A. », c’est-à-dire tout ce qui est information des usagers, vente, et surtout contrôle des billets. Tout cela en respectant des délais de plus en plus courts. On est passé d’une culture de moyens à une culture de résultats », regrette Ulysse Champion, militant CGT. Une culture qui passe par d’incessantes pressions au moyen d’un « management de proximité » évaluant continuellement les « performances » des conducteurs. À cette fin, la RATP a créé une « brigade de surveillance du personnel » rebaptisée « les mouches » par les salariés. Ce service de la RATP est chargé d’inspecter en civil les différentes lignes et d’établir un rapport d’évaluation sur la conduite et le respect de la « bus attitude ». « Ils agissent de manière anonyme, ce qui entretient un climat d’espionnite. Et dans 90 % des cas, leurs rapports sont suivis de sanctions qui peuvent aller jusqu’à la mise à pied », indique Laurent Nourry, conducteur sur une ligne de nuit. Un stress qui se prolonge avec des entretiens d’appréciation et de progrès où la direction n’hésite pas à sermonner les chauffeurs : « Le pire, c’est pour les nouveaux. Avec la radio, les régulateurs chargé de gérer le trafic les pressurisent même pendant la conduite », regrette Joss Treuillard.
« Le but c’est d’être rentable »
La RATP, sous prétexte de « moderniser les conditions de travail », a ainsi mis en place un système de sanctions et de primes qui isole chaque conducteur, individualise ses conditions de travail et le met en concurrence. Une « recherche de résultats » qui semble paradoxale quand on se penche sur l’état des bus assurant le bon ( ?) fonctionnement du réseau. « Jeudi dernier, j’ai dû changer cinq fois de véhicule notamment pour des problèmes de freins. J’ai attendu trois heures pour pouvoir repartir en service. Et le pire c’est que je l’avais déjà signalé », rapporte Laurent Nourry. La faute au sous-effectif dans les équipes de maintenance : « Depuis dix ans, le personnel a été divisé par deux. Il n’y a que 80 mécanos pour 225 bus à Aubervilliers. Et le seul moment pour les réparer, c’est la nuit de 1 h 30 à 4 h 30. Du coup, le matin, ça arrive d’avoir un service mais pas de bus », insiste-t-il. « Le service public n’est plus à l’ordre du jour. L’entreprise gère juste un quota de kilomètres à l’année qui doit être réalisé pour le syndicat des transports d’Île-de-France. Quand le quota est rempli, certains directeurs de dépôt n’hésitent pas à alléger le service au détriment des usagers. Le but c’est d’être rentable et donc de faire des économies », conclut Joss Treulliard. Et dans le cas contraire, la direction se retourne invariablement vers des conducteurs transformés en boucs émissaires et toujours placés en première ligne.
Xavier Lalu