par Michel CHARZAT député (PS) de Paris, maire du XXe arrondissement.
"On connaît, on aime le sémillant Arnaud, le socialiste coruscant, parlementaire insigne, bretteur intrépide et pourfendeur inlassable des scandales et des abus, du chiraquisme finissant au capitalisme pourrissant.
On apprécie l'homme de convictions, le chantre éloquent de le VIème République, le héraut des causes minoritaires, l'homme qui a dit non au Mans, après avoir repoussé la Constitution européenne.
On salue le talent et l'insolence de celui qui blesse, risque, stimule et sait faire front, seul contre tous.
Or, depuis quelques jours, on a perdu Arnaud. Seul indice, une curieuse "lettre" adressée à ses disciples interdits, et reprise par Libération, où on ne retrouve ni l'envolée, ni la clarté coutumière du signataire. une bouteille à la mère qui fera, de lapsus en formules confuses et barbarismes, le bonheur de quelque psy médiatique. Quoi? L'héroïque Arnaud, arguant qu'il "nous faut désormais choisir, car nous n'avons plus le choix"? Hein? L'insoumis créatif prêt à vendre ses combats en "pièces détachées"?
Ce n'est pas un plaidoyer, c'est un faire-part. Ce n'est pas un viatique, c'est une bouée de sauvetage.
La ligne générale? Un pas en avant, deux pas en arrière, non vers la Révolution, mais vers le "royalisme". La ligne politique? "Ne pas se tenir à l'écart de l'aspiration au renouvellement". Traduction libre: attraper le train de l'opinion, des sondages, des bien-pensants. Notre Cyrano enfile des charentaises et délaisse Mariannne pour Ségolène: reléguer les éléphants au cimetière, c'est un peu court quand on a voulu inventer la VIème, incarner le combat contre la mollesse social-démocrate, pourfendre le capitalisme financier, en appeler à la République européenne!
On souhaite beaucoup de courage à Arnaud. Il en faudra pour rendre le royalisme buvable à gauche. Il devra pour cela surmonter les trois apories -contradictions logiques dans les termes- du royalisme.
- Première aporie: la démarche politique. Arnaud Montebourg, c'est le retour au politique et l'appel aux citoyens éclairés. Ségolène Royal, c'est la démocratie de l'opinion. Comment un républicain, et plutôt six fois qu'une, contribuera-t-il à transformer l'électeur en consom-acteur?
- Deuxième aporie: le projet politique. Arnaud Montebourg s'est présenté comme héritier de Pierre Mendès-France et de son fameux "Gouverner, c'est prévoir, c'est un calendrier, des priorités." Ségolène Royal semble vouloir éviter tout ce qui fâche: Liban, défense nationale, Corse, rémunération des grands patrons ou tentations communautaristes...
- Troisième aporie: la sratégie politique. Arnaud Montebourg semble avoir toujours souhaité rassembler dans son camp avant d'élargir sa base, il est en outre dans la ligne de Dijon qui écarte toute tentation centriste. Ségolène Royal est autrement plus ambigüe. La préemption de la sécurité, de la famillle -fût-elle new-look- ou de l'émancipation régionale semble bâtie pour encercler les arguments de Nicolas Sarkosy, lequel manifeste les mêmes vélléités de contournement à l'endroit du peuple de gauche, de la double peine à l'humanisation des régularisations (sic), en passant par les attaques des patrons voyous. On est loin du rassemblement à gauche, pourtant brandi dans les dernières nouvelles d'Arnaud.
Sujets secondaires en exergue, positions prudentes, esquives calculées: pour vivre avec ces contradictions royalistes, Arnaud devra ménéger sa peine, assoupir ses qualités d'indépendance, taire son insoumission viscérale aux idées reçues, brider son penchant pour les choix fermes. Bien qu'il affirme dans sa lettre n'avoir "nullement l'intention d'être un autre que celui qu'il a toujours été et toujours voulu être", on a peine à croire qu'il puisse être celui-là. On a perdu Arnaud. Qui risque fort de se perdre à son tour, pour son malheur et celui d'une vie politique et d'un parti que son énergie contribuait à sauver du pire." (article paru dans Libération)
C'est pourtant vrai que ça avait une certaine allure, ce splendide isolement d'Arnaud, quittant le congrès, seul dans la nuit mancelle et dans son manteau. Me reviennent aussi certaines images de Douai en 2004 (premiers frémissements du Non au TCE, avec Emmanuelli, Masseret, et bien sûr, mais là, on ne sera pas étonné de leur présence à ces tribunes, Mélenchon et Dolez). Voilà, à cela, ajouter aussi ces camarades croisés au marché de Châlon dimanche dernier et qui eux non plus ne comprenaient pas le discours de celui qu'ils auraient voulu croire un homme libre.
PRS 57