J’écris quelques mots à l’entrée d’une semaine qui sera marquée pour moi par le meeting du Front de Gauche à Marseille le 10. Ce sera une sorte de test après celui de Frontignan dans l’Hérault qui fut un succès surprenant pour tous. Ces signes venus du terrain sont décisifs. Celui de Frontignan contrebalançait la déception des premières réactions du NPA aux ouvertures que notre congrès de Limeil-Brevannes faisait dans sa direction. Il compensait aussi l’attentisme des autres composantes que nous appelons à rejoindre le Front. Si mille deux cent personnes s’entassent dans une salle prévue pour neuf cent et supportent, pour beaucoup d’entre elles, de rester debout pendant deux heures et demie à entendre des discours avant de repartir en car ou en voiture, c’est qu’elles veulent dire quelque chose autant qu’elles veulent en entendre. Elles viennent dire qu’elles soutiennent l’idée du Front, qu’elles comprennent cette bataille pour le constituer, qu’elles y apportent leur pierre en venant au meeting. Que se passera-t-il à Marseille? Ce sera la réponse aux duretés du congrès du NPA. Car ce n’est pas un congrès encourageant et mieux vaut le reconnaître si l’on veut être honnête et efficace pour la suite de ce qui reste à faire.
Pendant toute la durée du congrès du NPA une importante délégation du parti de gauche a suivi les travaux, ceux des plénières comme ceux des commissions. Les comptes rendus qui croisaient les regards me permettent de me faire une idée assez exacte de ce qui s’est passé. Nous sommes tous frappés par la violence du ton des attaques portées par ceux qui sont s’opposent à l’idée du front de gauche. Et surtout par leur caractère personnel, dirigé contre moi («elle est bonne la soupe au Sénat?» demande à la tribune un intervenant) ou contre Marie-George Buffet («ils ont été ministres du gouvernement Jospin », comme si c’était une infamie). Avec cela, l’arrivée surprise de nouvelles conditions inattendues pour la participation au Front, comme «le nucléaire», est faite dans des formules d’une généralité telle qu’elles finissent par sentir le prétexte. Enfin l’élimination de la direction du nouveau parti de tous les porte-paroles de la tendance favorable au front de gauche, avec une telle brutalité à l’endroit de dirigeants historiques de cette formation comme Christian Picquet, est également un signal très négatif volontairement donné en interne à cette formation. Bien sûr, les commentaires médiatiques, tous orientés dans le même sens de fascination, à quelques rares exceptions près, ne facilitent pas la mise en débat public des questions que posent les conclusions politiques de ce congrès. Il est donc essentiel de faire nous même le travail, « au bouton de veste », jusqu’à ce que le plus grand nombre comprenne de quoi il retourne et «qui propose quoi». Et il faut le faire sans se désespérer. Si nous voulons l’union de toute l’autre gauche, alors il faut s’en donner les moyens de patience et de conviction. Donc on continuera le débat et les efforts pour convaincre. Il ne faudra pas répondre aux insultes. Il faudra garder le même respect pour nos interlocuteurs que nous avons pratiqué jusqu’à ce jour. Peut être parviendrons-nous à faire en sorte que l’insulte ne soit plus admise pour se parler à gauche. Garder la méthode du «débat argumenté» plutôt que de l’invective. Imaginez le contraire! Imaginez que l’on s’abandonne à notre tour à l’énumération des oukases sur le mode de celles que profèrent contre nous les dirigeants du NPA. Tout serait perdu. Non pour nous, partis politiques, mais pour tous ceux qui n’ont pas d’autre espoir que l’existence du Front de gauche pour exprimer leur opinion et bouleverser la donne politique dans la gauche et dans le pays.
jean-luc mélenchon
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