La France a-t-elle encore une Constitution ?
par Hélène Franco
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » proclame l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Un événement récent conduit à se demander si la France est toujours un régime constitutionnel. Il s’agit de la décision du parquet de la section financière de Paris de classer sans suite la plainte de l’association Anticor contre Nicolas Sarkozy, sa directrice de cabinet de l’époque Emmanuelle Mignon et Patrick Buisson, dirigeant de la société Publifact pour passation illégale d’un marché public de sondages d’un montant de 1,5 million d’euros le 1er juin 2007.
« Les sondages de l’Élysée » ont été épinglés en juillet 2009 par la Cour des comptes dans un rapport où il était souligné que ce marché violait manifestement le Code des marchés publics. Or, par une interprétation aberrante d’une thèse en droit soutenue en 2005, le parquet de Paris vient de décider que la déjà très contestable immunité pénale du président de la République devait s’étendre également à ses conseillers, en l’espèce Emmanuelle Mignon, signataire du contrat litigieux et le très droitier Patrick Buisson (ancien directeur de « Minute »), à la fois patron de Publifact donc bénéficiaire du marché en question et conseiller en communication officieux de Nicolas Sarkozy !
Cette interprétation du parquet contredit frontalement l’arrêt de la cour de cassation du 10 octobre 2001 qui, tout en consacrant le principe de l’immunité présidentielle en cours de mandat, avait exclu explicitement de ces privilège les conseillers du président. L’immunité présidentielle édictée par l’article 67 de la Constitution, renforcée par la révision du 23 février 2007, est une exception exorbitante au principe de l’égalité devant la loi. Le parquet vient tout simplement de l’étendre à la caste des proches du président, pouvant s’affranchir en toute impunité de la règle commune. Avant l’instauration par la Révolution d’un ordre constitutionnel, qui suppose que l’exercice du pouvoir a pour contrepartie la responsabilité, on appelait cela la Cour. À quand la prochaine nuit du 4 août ?
(photo pg 57 Hélène au Mans le 19 novembre)