S’indigner, encore et toujours.
Déjà quelque temps que ma colère ne s’est pas invitée ici, en bonne conseillère qu’elle a toujours été. Et pourtant, on sait que les sujets ne manquent pas de casser un verre en le jetant contre un mur, pour éviter de devenir impolie. Ces deux ou trois dernières semaines, on a été gâtés, faut dire ! Entre Chirac qui nous la joue Hortefeux en trouvant à un promeneur un air pas vraiment « né-natif de Gironde », le maire UMP d’un bled d’on ne sait même pas où qui en remet une louche, dix millions, qui vont nous bouffer, dit-il, nous bouffer, dix millions de payés à rien foutre. Il nous explique ce matin, l’édile bien de chez lui, que c’est seulement aux chômeurs et aux retraités qu’il pensait. Seulement ? Après ça, tu te sens un peu piteux, vu que tu appartiens à la catégorie 2. Tu as déjà oublié que finalement, cette retraite, tu as quand même bossé 40 ans pour te la payer, ben non, un payé à rien foutre voilà ce qu’un élu UMP pense de toi, ô retraité qui me lit dans le grand silence blanc de ta pension dorée (à combien d’euros par mois, au fait, bande de payés à rien foutre !) Du coup, revoilà la moutarde qui monte à mon nez de nantie, de feignasse. Et c’est sain, la colère, ça empêche de s’endormir. Et comme on n’était pas endormis, il ne nous a pas échappé que des progrès sont en train de se mettre en route dans cette belle école de la République, celle qu’on a aimée, qu’on aime et qu’on aimera. Cette fois, c’est en terminale scientifique que ça se passe. Pour être bien certain que ces jeunes gens n’aillent pas chercher des poux dans la barbe de Charlemagne, ces beaux esprits ont inventé de leur sucrer les heures d’histoire. Rien que ça. Pour nous faire taire, on nous dit que ce n’est pas bien grave, puisqu’on comblera par des heures en rab en première. Nous, on veut bien, sauf que, si tu as déjà un peu réfléchi sur la question des classes à l’école, tu sais très bien, que les programmes, ils ont été faits justement sur un détail qu’on nomme maturité. Plus d’histoire en terminale S. Ils ont quoi, les scientifiques, qui les empêcherait de se pencher sur les grands événements de ce siècle, ou de celui qui vient de passer ? Sont plus ballots que d’autres ? Ou alors, être un cador en maths, ça suffirait à être un homme complet ? C’est curieux tout de même comment réfléchissent les grands de ce monde. Dans leur tête, tout est bien rangé dans les cases : matheux, littéraire, et basta ! Tant pis pour toi si tu veux devenir toubib et que malgré ça, tu n’es pas trop indifférent à l’histoire de ton pays, ou à sa poésie. Tête bien pleine, tête bien faite, disait qui donc déjà ? Oh personne, ce n’est que de l’histoire !
Au détour de ceci, et même de cela, bien aveugle est celui qui ne trouve pas chaque matin au réveil de quoi alimenter sa rogne. Vous verrez, aujourd’hui, il y a grève à la RATP. On parie sur les titres des journaux télé de ce soir ? On parie ? Les usagers pris en otage… par des types qui réclament des primes permanentes. En otage, oui. Ah mais c’est que c’est du sérieux, une grève. Ce n’est pas seulement des gars qui se battent pour le bifteck, c’est surtout des gars que ça amuse follement d’embêter plus pauvres qu’eux. On parie ? Que le premier qui entendra ce soir un seul entretien avec un machino de la ligne A, juste pour savoir POURQUOI ils sont en grève nous fasse signe. On parie… Et on ne risque pas gros, c’est plié !
Encore autre chose ? Y a qu’à demander ! Mardi a été votée à l’Assemblée le texte qui fiscalise les indemnités des accidentés du travail. Encore une belle vilenie, ce truc. Vous pouvez me dire, vous, où ils vont les chercher, leurs idées d’humanistes ? Ils ont une mine, ou quoi ? Il y a des gens, à la tête de ce pays, on les paie seulement pour chercher -et trouver, donc !- dans quelle catégorie, déjà bien embêtée, on pourrait grappiller deux ou trois euros qui sommeillent. Et ça marche ! On a réussi à faire entrer dans le crâne du bon peuple qu’il n’y a pas de raison que ces feignants-là soient exonérés. Vous voyez à peu près à qui on s’adresse ? Les gars qui ont des accidents du travail, ce sont rarement les ministres, ou même les gérants de banque. On les trouverait plutôt dans le bâtiment ou le transport routier, ce genre. Des nantis, qu’il faut continuer à plumer bien à nu, des fois qu’ils en profiteraient pour planquer des millions. Pendant qu’on poursuit le boulot qui consiste à dresser les unes contre les autres les catégories sociales les plus fragiles de ce pays, y en a qui se gobergent, des entraineurs de foot qui émargent à des sommes que rien que de les voir, ça te colle le tournis, un coup à te faire tomber de l’échelle. Pendant qu’on bosse à rendre les ouvriers jaloux des employés et les chômeurs jaloux des sans-papiers, pendant ce temps-là, les lois scélérates nous tombent dessus, et on les laisse tomber, puisque Johnny est malade…
brigitte blang