Contre la décodification du Code du Travail
Monsieur le Ministre,
En vérité, les choix de réécriture ne sont pas anodins.
D’abord, le plan du code a été totalement remanié. Il n’est ni plus simple, ni moins simple ; mais les dispositions relatives au licenciement économique, par exemple, qui auraient dû figurer dans la cinquième partie consacrée à l’emploi, figurent dans la première, relative aux relations individuelles du travail : la consultation du comité d’entreprise et l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi ont-ils pour finalité première la défense de l’emploi, comme nous le pensons, ou le traitement social de licenciements déjà décidés par l’employeur ?
Quant à la décision de scinder les articles afin, nous dit-on, qu’il n’y ait qu’une idée par article, elle aboutit à faire figurer la règle et l’exception dans deux articles différents, et donc à les mettre sur le même plan. Elle conduit aussi à un éclatement en six articles, pas tous consécutifs, des dispositions relatives aux indemnités dues en cas de non-respect de la procédure de licenciement !
Deuxième orientation particulièrement dangereuse : le déclassement de plus de 500 articles, qui passent du domaine législatif au réglementaire. Leur modification en sera facilitée. Elle se fera dans un grand silence, sans intervention du législateur, et pourrait même être opérée dès la recodification de la partie réglementaire. Surtout, ce déclassement revient à mettre employeurs et employés sur le même plan, alors que le code du travail régit un contrat par nature inégalitaire, impliquant la protection du plus faible. Si le législateur a pris le soin de faire figurer dans la partie législative des dispositions relatives aux autorités compétentes, c’est bien pour protéger ceux qui travaillent dans cet état de subordination.
Nous ne pouvons pas ne pas voir dans ces deux orientations dangereuses, l’externalisation et le déclassement, la forte influence du rapport de Virville de 2004 et des propositions que le Medef avait formulées quelques semaines plus tard, un Medef qui rêve d’un contrat de travail assimilable au contrat civil, plaçant l’employeur et le salarié sur le même plan, et qui aspire à l’individualisation des relations du travail et à la primauté du contrat sur la loi. Face à ce que d’aucuns appellent une décodification, à ce chaos imposé au corps social, pour reprendre l’expression du professeur Teyssié, qui prévoit qu’il faudra quatre à cinq ans aux acteurs du droit social pour s’approprier le nouveau code, la sagesse serait de rouvrir sérieusement le chantier.