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le blog de brigitte blang

l'actualité politique vue par une militante de gauche.


télé bébé par meirieu

Publié par prs 57 sur 2 Décembre 2007, 00:00am

Catégories : #médias

Il fallait s’y attendre ! Toujours en quête de nouveaux marchés, décidée à scotcher de plus en plus tôt tous les « publics » devant les écrans, la télévision commerciale s’attaque aujourd’hui aux enfants de moins de deux ans. Deux chaînes, autorisées au Royaume-Uni, diffusent maintenant en France, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ciblent explicitement les enfants de moins de deux ans… Les marchands d’image, jamais en manque d’une hypocrisie supplémentaire, nous expliquent qu’elles ne présentent aucun danger puisqu’elles n’ont pas recours à la publicité et que, de toute façon, ils font confiance aux parents pour en contrôler l’usage. Certes, la publicité n’est pas encore au rendez-vous sur ces chaînes… Mais pour combien de temps ? Peut-on sérieusement croire qu’elles ne cèderont jamais aux sirènes insistantes des produits lactés et autres marchands de couches ?... En attendant, d’ailleurs, elles pourront toujours utiliser la technique subtile du parrainage, mise au point depuis longtemps maintenant par les chaînes publiques pour tourner la loi ! Quant aux parents, soyons sérieux : si certains d’entre eux, de toute évidence, ont la disponibilité d’esprit nécessaire pour mesurer les dangers de la consommation télévisuelle précoce, d’autres, croulant sous les soucis, en difficulté pour assumer simultanément leurs responsabilités parentales et les pressions professionnelles ou personnelles, cèderont à la facilité. On aura beau jeu alors, après leur avoir fourni la drogue, de les accuser de la distribuer !

On connaît, pourtant, depuis belle lurette, la nocivité du produit. Le petit écran crée une dépendance hypnotique dont les effets sont attestés… Isolement et repli sur soi, d’abord : fasciné par les images du poste, le jeune enfant n’entend plus les autres sollicitations ; lui parler, c’est le distraire, l’appeler pour jouer, c’est l’agresser. Troubles du développement ensuite : le bébé, qui doit apprendre à entrer en relation avec autrui, à expérimenter sa capacité d’agir sur les objets, à observer son environnement et à dialoguer avec le monde, s’enferme dans un face à face mortifère pour lui ; le réel est réduit à ce qu’on lui en montre et qu’il doit passivement absorber. Troubles de l’attention, enfin : la télévision, toujours engagée dans la surenchère des effets, inquiète de « perdre » son public, ne cesse de raccourcir les séquences et de grossir les effets : comment demander ensuite à l’enfant d’accéder à l’écoute attentive d’une histoire et, a fortiori, à la lecture d’un livre ou à des exercices scolaires un peu exigeants ?... Sans compter, bien sûr, le formatage intellectuel et culturel, les habitudes acquises à un moment de la vie où l’on est particulièrement influençable…

Mais, en réalité, ces télévisions ne sont pas faites pour les enfants, elles sont faites pour les adultes : il s’agit de garantir la tranquillité des parents et de faciliter l’endormissement des enfants. Il s’agit d’occuper les bébés au prétexte de les éveiller. De les abrutir en prétendant les cultiver !

Qu’on ne vienne pas, ensuite, se plaindre, d’avoir en famille comme en classe, des enfants fatigués avant même d’avoir fait quoi que ce soit, qui n’émergent qu’en s’excitant et ne réussissent à exister que dans la provocation ou la violence. Qu’on ne vienne pas, avec des trémolos dans la voix, regretter le bon vieux temps où les jeunes passaient leurs soirées absorbés dans la lecture de Jules Verne. Qu’on ne vienne pas fustiger une jeunesse incapable d’attention et de concentration, fascinée par les standards les plus médiocres, manipulée par les modes les plus démagogiques…

Un peu de logique, s’il vous plaît : arrêtons d’encourager les marchands d’excitants et de réprimer les excités… Arrêtons de laisser se développer les vendeurs de drogue et de stigmatiser les drogués… Arrêtons d’encourager ceux qui font de l’enfance un marché et d’accuser les enfants d’être des consommateurs butés… La toute-puissance du commerce et l’instrumentalisation marchande de l’enfance et de la jeunesse se développent en même temps que toutes les formes de dépistage précoce des troubles du comportement et du langage. Nous prenons peur devant ce que nous fabriquons nous-même et, face à la montée de ce que nous avons nous-même engendré, nous nous rabattons sur toutes les camisoles possibles : camisoles chimique, technique, judiciaire, institutionnelle, disciplinaire… Il serait temps d’inverser la vapeur et, face aux droits des marchands d’image, d’affirmer le premier des droits de l’enfant : le droit à être éduqué… Qui est aussi le premier des devoirs de l’adulte : le devoir d’éduquer.

Philippe Meirieu

Pour signer la pétition : "Un moratoire contre la fabrique d’enfants téléphages" : http://squiggle.be/appel/?petition=2 

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