« Se moderniser sans se droitiser »
Parti socialiste. Membre du bureau national, Guillaume Bachelay, très proche de Laurent Fabius et maire adjoint de Cléon (Seine-Maritime), est l’auteur d’un ouvrage critique sur l’évolution de son parti. Entretien.
Désert d’avenir (1) est le titre de votre ouvrage. Or, vous y parlez peu de Ségolène Royal. Une façon de tourner la page ?
Guillaume Bachelay. Nous n’avons pas seulement perdu une élection présidentielle, mais trois successivement. Il faut donc chercher les causes profondes de ces échecs. Ségolène Royal est l’ultime étape d’un lent processus d’acception de la victoire idéologique, économique et finalement politique du libéralisme. Du tournant de la rigueur en 1983 à la défaite de 2007, en somme, la boucle est bouclée ! Mais ce qui m’a le plus perturbé comme militant et comme jeune responsable socialiste, c’est l’abandon par notre candidate du terrain économique et social durant la campagne. Que Sarkozy ait réussi à capter - et même à capturer - Jaurès dans ses discours est un symbole et un symptôme : la droitisation de la société est une thèse à laquelle on croit davantage au PS qu’à l’UMP !
Le tournant n’est donc pas pour vous cet épisode présidentiel, mais prend sa source bien en amont. Quel en est le cheminement ?
Guillaume Bachelay. Dans les années soixante-dix et jusqu’en 1983, avec le grand moment de mai 1981, la dynamique, c’était le programme commun. Il s’agissait, dans un cadre démocratique, de transformer les structures mêmes du capitalisme. En 1983, face à la contrainte extérieure - on ne parlait pas encore de « mondialisation » -, il a fallu réviser la stratégie sinon la gauche risquait de perdre le pouvoir après deux ans d’action seulement. Or, Mitterrand voulait - il avait raison - que la gauche s’inscrive dans la durée. Pour habiller le tournant et le ralliement à l’économie de marché, le PS et ses alliés ont délivré un nouveau message : le socialisme reste l’horizon, mais c’est l’Europe qui est la bonne échelle. Des sacrifices ont été demandés aux Français, notamment aux salariés, pour rendre
Il se trouve que Laurent Fabius est associé historiquement à cette rigueur de 1983. Paradoxe ou injustice ?
Guillaume Bachelay. Le tournant de la rigueur a été décidé fin 1982, début 1983 par François Mitterrand, Jacques Delors et Pierre Mauroy. Laurent Fabius, succédant à ce dernier à Matignon en
L’effritement politique, idéologique et électoral du PCF au cours des vingt dernières années, n’a-t-il pas été considéré trop vite comme une bonne nouvelle par le PS ?
Guillaume Bachelay. Toutes les forces de gauche ont pris de plein fouet le rouleau compresseur du libéralisme au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Face au triptyque « dérégulation, privatisation, individualisation », pas facile de faire vivre la devise « liberté, égalité, fraternité ». D’où deux tentations à gauche : l’alignement ou la surenchère. Les deux, l’expérience l’a montré, sont inopérantes. Il faut revendiquer notre identité de gauche, dans la diversité des sensibilités et des histoires, tout en ajustant certaines approches et certaines propositions. Prenez les retraites. Socialistes et communistes, nous savons bien qu’il y a un problème de financement durable des régimes. Si nous n’apportons pas de réponses, alors il y aura privatisation et non répartition, marché et non solidarité. Il faut donc une réforme globale des retraites, qui tienne compte de la pénibilité, de l’espérance de vie, de la nécessité de mettre à contribution le capital et pas seulement ceux qui travaillent pour garantir les pensions. Voilà une approche de gauche à opposer à la stratégie Sarkozy-Fillon consistant à distinguer les régimes spéciaux et les autres, à opposer entre eux les salariés, à privatiser à terme les retraites ! Je le dis à mes camarades socialistes : être modernes, pour les retraites comme pour le reste, ne signifie pas être droitier.
Comment voyez-vous le chantier de rénovation de la gauche ?
Guillaume Bachelay. Je suis socialiste, donc je crois au progrès et à l’action. Je compte beaucoup sur les mobilisations de la société : contre les taxes sur les soins et les médicaments, contre l’absence d’augmentation des salaires et des pensions, contre le risque d’une privatisation des services publics - aujourd’hui GDF, demain
(1) Désert d’avenir.
Le Parti socialiste, 1983-2007.
Guillaume Bachelay, CGM/éditions Bruno Leprince » ; 123 pages.
Entretien réalisé par Dominique Bègles
http://www.humanite.fr/2007-09-14_Politique_-Se-moderniser-sans-se-droitiser