Je me balade sur tous les blogs amis depuis ce matin. Ils y vont tous tous tous de leur refrain lutte des femmes, viols, violences, inégalités et tout le reste. Bravo et merci les garçons, de penser à nous avec tant de compassitude ! Donc, tout est bien fait aujourd’hui ici et là pour qu’on ne s’endorme pas sur des acquis si fragiles, parité, IVG, égalités de tous poils. Alors, pour dire qu’on ne fera pas comme tout le monde et pour revenir à ce qui nous a déjà bien rassemblés, on va fêter les filles en cinéma.
Des « films de filles », il y en a plein. Catégoriser me gêne un peu, comme lorsqu’on dit un bouquin de femme, pour dire que ce n’est ni technique, ni philosophique, juste assez facile pour que les filles comprennent, mais le genre est large. On pourrait en faire mille pages. Ici, bien sûr, la subjectivité primera, comme toujours. Films de femmes, donc, de femmes, pour les femmes, par les femmes et autour d’elles.
Le premier auquel je pense, c’est un diamant, confidentiel, comme il sied aux bijoux. Il date un peu, plus de 10 ans. Son nom : « Y aura-t-il de la neige à Noël ? » Son auteur : Sandrine Veysset. Son histoire : une mère et ses sept mômes. En filigrane, un père absent, père occasionnel, père à moitié, il a une autre famille, une vraie, une officielle ailleurs, pas bien loin, et il apparaît, comme ça, de temps en temps, le temps de se rassurer, peut-être, de savoir qu’elle est toujours là, à l’attendre, elle et les sept petits qu’il lui a faits. Ce n’est pas Zola, mais c’est bien noir quand même, c’est la vie de tous les jours de ceux-là, entre l’école et les champs, dans une campagne bien de chez nous. On se dit que sûrement on a dû en croiser de ces femmes fatiguées, pétries d’amour et d’obéissance, de ces enfants lumineux, de ces pères à mi-temps… Y aura-t-il de la neige à Noël, ça veut dire « Papa viendra, tu crois ? » Il y a du danger, de la détresse, de l’amour surtout, même s’il va toujours un peu dans le même sens. On a envie de lui dire « Barre-toi, c’est un salaud définitif, ne reste pas, file, prends-les sous le bras tes petits et file ». Mais on comprend vite que sa passion est la plus forte, jusqu’à ce que… On frôle le drame, on frôle l’inceste, on frôle la violence, mais on ne frôle pas le chef d’œuvre, on y est, en plein dedans. La nuit de Noël, la neige va tomber, en effet,-juste à temps pour transformer en conte ce qui était parti dans le registre tragédie- sur cette histoire si simple, si simple, … de ces vies où apparemment il ne se passe rien, et pourtant… Après tout, la vie des gens, c’est rarement « Autant en emporte le vent » ! On gardera le souvenir de ce père, Daniel Duval, abonné aux rôles de sales types, qui lui vont comme un gant, mais quel acteur, y compris dans l’ignoble ! La mère aussi, Dominique Reymond, harassée de maternités et débordante d’amour, si forte mais si troublante, qu’est-ce qu’ils attendent les réalisateurs pour la faire tourner, bon sang ?
Un autre ? Pas franchement plus gai : « Des gens sans importance». Inattendue cette gravité chez Verneuil qui nous a plutôt habitués à des polars de bonne facture, certes, mais qui ne cassent pas trois pattes à un canard. On y retrouve le chouchou du réalisateur, Gabin. Mais un Gabin absolument insolite, dans un rôle de routier au bord de la crise de nerfs pour cause d’amour adultère, malgré une femme et trois gamins sympas. On a envie d’être à ses côtés, aux côtés de sa copine, Françoise Arnoul, splendide en fille de salle d’un resto un peu sordide, où les mains baladeuses le disputent aux plaisanteries de corps de garde. Tout ça va mal finir, on s’en doutait depuis le début, pour cause de long flash-back. Oui, en effet, un avortement qui tourne mal, des circonstances de cauchemar, la fin tragique, qui nous renvoie aux pires heures de la vie des femmes, les faiseuses d’ange en arrière-cuisine, les lettres anonymes à l’épouse trompée, l’hôtel louche qui s’avère le seul recours pour la fille fautive. Le tout filmé très années cinquante, brumes et noir et blanc… Un de mes films préférés, sans nul doute, qu’il faut revoir avec le recul de notre histoire commune, avant 76 et la loi sur l’IVG, les traquenards pompe à fric, la honte presque d’en être arrivée là, et derrière toute cette noirceur, l’amour, comme un soleil, malgré tout…
Pour finir aujourd’hui, sur du soleil, tiens, justement, un hymne aux femmes, une ode à nous, les filles, à nous toutes, les jeunes, les vieilles, celles que nous avons été, celles que nous serons un jour, celles que nous sommes maintenant. Prenez un Espagnol, un vrai, tiens au hasard, Almodovar, ajoutez-y un quintette d’actrices époustouflantes, de tous âges, gommez les hommes, morts ou si inexistants qu’on finit par les oublier, un pays de poussière et de vent, le pays de Don Quichotte, la Mancha, où les éoliennes ont bizarrement remplacé les moulins à vent, une musique ensoleillée, un rêve enfin abouti : faire revenir une mère disparue, pour l’aimer encore. Il manque quoi ? L’histoire, bien sûr, mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est cet amour que le Grand Pedro porte sur nous, sur nous toutes, sur nos forces intimes, sur nos secrets si bien gardés, sur nos complicités insondables. Voilà un homme qui nous aime, il nous le dit à chaque détour de caméra, à chaque rayon de lumière sur un corps, il nous le dit, profitons-en, faisons fête à ses films, à celui-là, « Volver » et pas seulement le 8 mars. Aimons Pedro comme il nous aime, aucun autre ne nous le dit si bien.
Et bien sûr, belles luttes à toutes et à tous, puisque les droits des femmes, c'est aussi l'affaire des hommes...
Et que le 8 mars disparaisse à jamais, pour cause d’inutilité historique.
brigitte blang