Chronique d’un désastre amorcé…
Ici, dans mon patelin, on a des usines. Plusieurs. Mais une surtout. Depuis toujours, la vie tourne autour de ces bâtiments à l’ancienne, briques rouges, cheminées et verrières en bord de canal. Quand je suis arrivée là, il y a longtemps, ça s’appelait Solvay. Le même qu’à Tavaux. Une usine, donc, qui fabriquait de la soude, tout simplement parce que le sous-sol à Sarralbe contient du sel, souvenir ancien d’une mer ancienne, qui se trouvait là il y a bien bien longtemps… (Quand je vous le disais qu’il y avait des plages à Sarralbe, il y en avait qui ne me croyaient pas !)
Ici, la vie tourne autour de Solvay. On travaille à Solvay, on habite la cité Solvay, on va au théâtre à la salle des Fêtes Solvay, l’été on va en vacances à la colo de Solvay quelque part en Alsace, un petit goût de paternalisme dans tout ça, pour sûr… Les « Solvay » ça faisait comme une caste à part. Nous on vivait dans une autre cité, celle des cheminots, rien à voir, tout à voir. Il y avait aussi les ingénieurs, belges souventes fois. Leurs enfants allaient à l’école privée. On ne les connaissait pas. Et puis petit à petit, des bâtiments ont fermé. La salle des fêtes est devenue la cantine du personnel, plus de tournées Barré-Borelli pour jouer Molière et Racine et accueillir Haroun Tazieff. La télé avait déjà frappé. On s’est servi de la salle des machines, désaffectée, en 86, comme décor pour un Faust d’anthologie. Quatre actes écrits par les gamins, joués par les gamins. L’enfer ? Pas si sûr. L’enfer, ce n’est pas plutôt une usine qui meurt, quand l’espoir fout le camp avec ? Et puis, le nom a changé aussi. C’est rarement bon signe. Innovene, BP, Inéos, à présent. À chaque rachat, des postes qui valsent. Des retraités qu’on ne remplace pas. Peau de chagrin, ça s’appelle. Aujourd’hui, en 2007, « Ca sent le sapin, chez Inéos », pour reprendre le titre d’un tract de
Pour mieux comprendre, c’est Patrick Schmidt, un bon copain, syndiqué à
Inéos fabrique du plastique, à partir de l’éthylène qu’on leur livre par pipe-line depuis Carling, pas bien loin d’ici. Or, depuis septembre 2006, un des vapocraqueurs de Carling a cessé de produire. Du coup, l’approvisionnement de Sarralbe est réduit. Réaction en chaîne : ça tombe bien, on est en plein dans
Déjà bien avant, en avril 2006 la direction annonçait par lettre au personnel une réduction de frais fixes de 25 %. Dans le même temps, ironie suprême, on leur demandait de générer eux-mêmes les idées qui allaient leur permettre d’atteindre cet objectif de 25 %. Sympa, on leur laisse le choix de l’arme qui va les tuer à petit feu. Autre malice, qui arrive comme par hasard en même temps : le lundi de Pentecôte sera pris en charge par la société. Chez Inéos, on ne bossera pas ce jour-là, chic alors ! Mais attention aux retombées, ça va descendre comme à Gravelotte ! C’est sur les « usages » qu’on va cogner (entendez les « avantages ») CQFD… Des exemples de ces « avantages » ? Vous pensez tout de suite à des parachutes en or ? À des stocks options en platine ? Pas vraiment là, non, pas vraiment, rien que du ras des pâquerettes : des bourses scolaires, des primes d’ancienneté, des primes de retraites, des cadeaux de naissance, des récompenses de sécurité, des médailles du travail (!!!), des voyages pas bien chers, des épargnes pour les vieux jours, vous voyez bien, rien que du lourd ! Voilà ce que je lis sur le document que Patrick m’a montré :
«Dans le cadre de la stratégie du Groupe Inéos, des axes de réduction des coûts ont déjà été identifiés : dénonciation d’usages, fermeture de bâtiments.
Projet de dénonciation d’usages.
Ces usages ne sont pas issus d’accords, mais d’une volonté unilatérale de l’employeur.
Ces actions (dénonciation d’usages) visent à répondre à une volonté clairement définie de notre groupe : assurer la viabilité des sites qui le constituent, en supprimant toute dépense non indispensable au fonctionnement du Business. »
Voilà voilà ! Circulez, y a rien à voir, on a été bien bons de vous les donner ces avantages, jusqu’ici, maintenant on ne veut plus, et basta !
Et les emplois induits ? Moins d’investissement, moins d’entretien, moins de pouvoir d’achat, moins d’enfants à l’école, moins de clients dans les magasins. On voir sans peine les retombées.
Les syndicats pensaient à un plan de 50 postes, correspondant plus ou moins aux départs en retraite, mais c’est bien TOTAL qui a eu le dernier mot. Ce qu’on pourrait ajouter ? De l’action, bien sûr. Surtout quand l’annonce de la taille à vif tombe un 5 juillet ! Ça me rappelle un truc, je ne sais plus bien quoi… Ah oui ! Les annonces de suppression dans l’Éducation Nationale qui arrivent juste le jour des vacances ! Eh bien là, pareil ! L’abattement des ouvriers, les mains liées par les congés, le manque de clarté des propositions de la direction, les projets d’action qui ne se bousculent pas, les politiques qui ne bougent pas des masses non plus, tu parles, un député UMP, on le voit bien dans la bagarre ! Ah, j’oubliais de vous dire, Inéos, que je viens de vous raconter, c’est une entreprise bénéficiaire… Sans commentaires…
brigitte blang pour prs 57 (avec l'aide de Patrick Schmidt, qu'on se connait, depuis au moins... au moins ça, sinon plus!)