Cher Nicolas Sarkozy, c'est un joli message que vous avez tenu à nous envoyer depuis la porte de Versailles. Je dis "nous" pour désigner ma famille, voyez-vous, une famille qui se situe plutôt à gauche, depuis plusieurs décennies. Il faut dire que la politique ne déteste pas ce genre de tournants. Je comprends cela. On s'échauffe un peu, on s'emballe, l'air du temps vous pousse à prendre quelques risques verbaux - aidés en cela par des intellectuels touchés eux aussi par votre charisme - et hop ! Le temps d'un meeting, c'est toute l'histoire de notre pays que vous parvenez à ramasser dans votre manche. Bien joué président. Très fort. Hier, Doc Gynéco, le vide et la frime, Pascal Sevran, et ce soir, Jaurès... Hugo... Mandel... La tête me tourne. C'est fou n'est-ce pas, ce que la société du spectacle peut avoir comme talents. Tous ces noms. Ces visages marqués au coin de la générosité. Le don de soi. Jusqu'à ce jeune homme de 17 ans, Guy Môquet (Le Monde du 16 janvier), fusillé évanoui, le 22 octobre 1941, avec 26 autres de ses camarades, tandis qu'un soleil d'hiver cinglait le camp de Choisel à Châteaubriant. Je n'en crois pas mes yeux. Franchement, je trouve que TF1 a été trop court dimanche soir. A force de culpabiliser, d'imaginer qu'ils en font trop pour vous dans la campagne, ils ont manqué l'essentiel. "J'ai changé", dites-vous, avec de vrais trémolos dans la voix. Ça n'est plus un changement, cher Nicolas Sarkozy, c'est une révolution. Certes, une révolution "de palais". Mais une révolution tout de même ! Votre discours, je l'ai entièrement relu. C'est important la relecture. En creux, il y a tout de même ces petites habitudes. Ces tics qui reviennent, tapis dans l'ombre et rabattent légèrement le caquet du lyrisme. D'abord, l'empathie et la mémoire : "Ma France... Ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas... Celle des travailleurs qui ont cru à Jaurès et à Blum..." Ne manquaient plus à l'appel que Louise Michel, Gabriel Péri ou Georges Politzer. Mon Dieu, que fait la gauche ? Sur le coup, j'ai cru à une lecture publique de l'Aragon du Roman inachevé. Presque du Jean Ferrat dans le texte. Grâce à vous, cher Nicolas Sarkozy, une fin de l'histoire est revisitée. Tous ces grands chênes, debout, derrière vous seul ! Une République des justes. Et puis j'ai fini par réagir. On se pince. Vous savez, comme lorsque nous sortons d'un étrange sommeil. Cette sieste assassine qui nous fait perdre le nord. Plus loin en effet, j'ai bien lu : "Cette gauche immobile qui ne respecte plus le travail... Cette République virtuelle qui veut donner un diplôme à tout le monde..."Alors, j'ai fini par remonter à ma propre surface. J'avoue que j'ai rêvé le temps d'un verbatim...Je me suis brusquement rappelé ce que me confiait mon grand-père, évadé de Châteaubriant avec Auguste Delaune, un mois après la fusillade, repris, déporté à Mauthausen, et copain de votre nouveau héros, le jeune Guy Môquet : "En 1936, me disait Pierre, tu sais, la droite française, dont une partie non négligeable épousera la collaboration - les fameux capitulards -, traitait le ministre Léo Lagrange, créateur des colonies de vacances, de ministre de la paresse..."Et là, voyez-vous, tout est remonté. Tout, je vous assure. Un courant revenu de loin. J'avoue. Je me suis laissé porter par la vague de ma mémoire de gauche. Les premiers congés payés ;
Il serait temps que la gauche s'en souvienne.
Pierre-Louis Basse, écrivain, auteur de Guy Môquet. Une enfance fusillée Stock 2000.
Article paru dans l'édition du Monde du 19.01.07.