Les semaines demi-teintes, comme ça, entre réveillon et dîner de famille, on en profite pour lire jusqu'au bout des articles a priori sans intérêt.
Là, il s'agit d'effeuiller l'inévitable marronnier de fin d'année. Qu'est-ce qui vous a marqué cette année ? Ou quoi que ce soit d'approchant. On pose la question à des gars et des filles connus, ou moins connus. La barbe, en gros ! Télérama ne manque pas à la tradition. Et c'est comme ça qu'on tombe par hasard sur cette page de Mordillat. Et on est finalement bien content de ne pas avoir pris ce numéro-là pour les épluchures de pommes de terre !
Le 18 mars, 120000 personnes ont pris la Bastille.
C’était un dimanche de mars, le 18 exactement. Il faisait plutôt beau et un vent bienvenu accompagnait les milliers de manifestants appelés par Jean-Luc Mélenchon à « prendre la Bastille ! ». Ce n’est pas tous les jours qu’on peut prendre la Bastille, alors ça ira, et en route ! Tout le monde vous le dira, une manifestation c’est toujours l’occasion non seulement de marcher dans Paris avec les siens, mais plus encore d’y retrouver des amis, des amours, des voisins, des connaissances parfois perdues de vus depuis des lustres. Ce dimanche 18 mars, c’était à croire qu’ils se retrouvaient tous là, impossible de faire un pas sans saluer quelqu’un ! L’ambiance était à la fête. Inutile de se compter, trop de monde. Nous riions d’avance, imaginant les commentaires des télés, des radios, des journaux qui jureront dès 20 heures : croix de bois, croix de fer, il n’y avait personne ou presque, en tous cas pas ce que les organisateurs attendaient ! Ne nous moquons pas des journalistes tenus à la chaîne. C’est vrai que les organisateurs de la manifestation ne s’attendaient pas du tout à ça. À « ça » quoi ? À ça : 120000 personnes qui arrivent sur la Place de la Bastille par tous les côtés ! On piétinait, on s’écrasait, on se frottait, on se bousculait, et soudain on éprouvait la sensation enthousiasmante d’être exactement où il fallait être ce jour-là, d’être un parmi les autres, nos semblables, les nôtres dans une forêt vibrante des drapeaux rouges, drapeaux noirs, drapeaux tricolores…
Internationale et Chiffon rouge, Jean-Luc Mélenchon monta enfin à la tribune. Dès ses premiers mots, on entendit qu’il avait les trac, que lui aussi était stupéfait de parler devant une telle foule, d’en partager la ferveur et la détermination. Au fond, ce qu’il disait n’avait pas d’importance, il parlait au peuple-pas au « peuple de gauche »-, au peuple tout simplement, et c’était une clameur qui lui répondait : « Résistance ! ». Résistance au néolibéralisme assassin, résistance à la gauche de droite, résistance à l’idée qu’il n’y a pas d’alternatives, résistance aux puissances de l’argent, à la Bourse, à la spéculation, résistance au fascisme rampant ou décomplexé, résistance au racisme, à la xénophobie, résistance à ce monde où un homme peut gagner en une heure ce qu’un autre ne gagnera pas en une vie.
Jean-Luc Mélenchon acheva son discours par un vibrant « Vive la sociale ! », et ce cri des communards pendant la Semaine sanglante m’alla droit au cœur, comme un message personnel.
La prochaine fois, nous prendrons l’Élysée.
Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste
(photo Rémy Blang manif pour les sans-papiers. Bastille le 13 juin 2010)