Cattenom
26 avril 1986. 25 ans déjà que Tchernobyl a rappelé à toute une planète qu’il « ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes », et les savants non plus. Pour redire qu’on n’oublie pas, et surtout pour affirmer qu’il y a mieux à faire que de continuer à s’amuser comme ça, tout un tas de citoyens venus des trois côtés des frontières s’étaient donnés rendez-vous à Cattenom hier. Le Parti de Gauche de Moselle y était. Au départ de Sarreguemines, le bus n’était pas très plein. Mais nous, on avait amené nos copains de Die Linke, qui savent aussi ce que nucléaire veut dire. En France, on connaissait à peine le mot qu’en Allemagne, déjà ils se bagarraient contre.
Au pied des quatre tours fumantes, la prairie s’est remplie petit à petit de toute une foule bigarrée, venue de partout pour dire la peur, mais aussi le dépit, la colère devant l’inconséquence des dirigeants. Ça déboulait de partout, en bus, à vélo, à moto, à pied, bien sûr. On finira par être 5000. Il y a eu de la bière et des guitares, des pizzas et des ballons, des bébés et des cheveux blancs, de ceux qui étaient déjà là en 79 quand le chantier avait commencé. Ceux-là, on s’en souvient de table en table, n’avaient ni sono, ni podium, à l’époque, juste leur détermination qui n’avait servi à rien… Déjà… Et déjà, les manifestants les plus nombreux étaient ceux qui avaient passé les frontières. Et pourtant ce n’était pas gagné, en 79, de débarquer autour de ce site en tenant un discours de refus, au nom de la sécurité de nos petits. Cette fois encore, les partis politiques sont là. Des socialistes… allemands et luxembourgeois ! Pour les français, on n’avait pas dû les prévenir de ce qui se passait là. C’est bête, hein ! Des Verts, plein de Verts. Des trois pays et de Belgique aussi. Ils tiennent l’espace. Et aussi les micros ! Il y a Die Linke, leurs drapeaux on les voit de loin, et il y en a beaucoup. Et puis il y a aussi le Parti de Gauche de Moselle, déterminé comme jamais, ou comme toujours. On est là, debout devant la tribune, et nos couleurs flottent au vent de la révolte, ici comme ailleurs.
Les intervenants se succèdent. On n’y voit que du vert, décidément. Mais on cherche encore les élus français, ceux de la région, par exemple. À part une copine à nous, une Verte encore et qui ne prendra même pas la parole, nada, pas un ne se montrera. On dénonce à tour de mots la politique inconsidérée des ministres qui se suivent et se ressemblent. On va entendre parler de Bure, de La Hague, de Fessenheim, et de Fukushima. Un joli mot aux sonorités de manga, et qui sert juste à flanquer la panique dès qu’on le prononce. Certains ont organisé un lancer de godasses sur affiches. Plutôt marrant, si on vous dit qu’ils y ont même mis Martine Aubry et Nicolas Hulot ! Les nôtres, de Verts, ça les amuse très moyennement de voir leur nouveau chouchou défiguré par un talon rageur ! Mais nous, on rigole. Hé ! On va se gêner !
Entre chansons et discours, l’après-midi s’écoule. Les ballons et les cerfs-volants s’envolent en flottille. Certains commentateurs trouveront, c’est sûr, l’atmosphère « bon enfant ». Pas nous. La gravité est palpable. Et les visages ne rient pas, malgré les slogans inventifs. Il y a du lourd dans l’air. Et on va le prouver. La manifestation va se terminer par un « die-in » géant. D’abord le silence, puis les sirènes, pour une espèce de film de fiction. C’est Malevil, c’est la Planète des singes. Tout le monde est couché au sol. Seul un fantôme en combinaison blanche hante la place. C’est du théâtre on le sait bien, mais on n’est pas farauds quand même. Au fond de nos têtes, germe l’interrogation. Et si…
brigitte blang