Une rue Robespierre dans la capitale ?
J'ai déposé un vœu lors du récent conseil de Paris demandant que soit accordé le nom d'une rue à Maximilien Robespierre. Il a hélas été rejeté et Bertrand Delanoë avait fait savoir qu'il y était opposé. Je n'accepte pas que soit ainsi minimisé par la représentation parisienne le rôle majeur tenu par cet homme durant la Révolution française, événement fondateur de notre République. D'autant que sa pensée et ses actes restent pour l'essentiel d'une grande modernité.
Qu'on en juge. C'est lui qui, pour la première fois à la mi-décembre 1790, employa la devise « Liberté, égalité, fraternité », devenue depuis celle de notre nation tout entière. C'est lui qui fut le premier défenseur du suffrage universel et de la souveraineté populaire. C'est lui qui intervint avec force pour l'abolition de l'esclavage et la fin de la colonisation.
C'est lui qui défendit aussi la liberté de la presse et demanda même, dès 1791, en vain, l'abolition de la peine de mort. C'est lui encore qui, le premier, exigea que l'on accorde la pleine citoyenneté pour les juifs et les comédiens.
Sa conception de la République était exigeante, il défendait l'espace politique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Homme politique entier, législateur philosophe, « l'Incorruptible » dut faire face à des temps difficiles où notre pays était déchiré par des invasions d'armées étrangères, de nombreuses trahisons et secoué par une terrible guerre civile.
N'ayez crainte, je n'esquiverai pas une critique. Robespierre fut un des acteurs de ce qui est nommé la Grande Terreur. Mais de quoi parlons-nous exactement ? D'une période de deux mois, du 10 juin au 27 juillet 1794. Comme vous, je n'éprouve aucun plaisir à cela et, comme vous, je suis farouchement opposé à la peine de mort. Mais, cette violence est peu comparée à celle exercée pendant des siècles par les rois de France, qui cautionnaient les pires massacres et les tortures.
Ironie de l’Histoire
La période était d'une rare brutalité, et cela ne s'est d'ailleurs pas arrêté à la mort de Robespierre. À ce titre, Thermidor n'est pas une sortie de la Terreur, mais sa continuation avec d'autres protagonistes, d'autres vainqueurs et d'autres vaincus, un changement de projet politique et non un changement de moyen politique. Il en fut ainsi pendant les décennies qui suivirent. Adolphe Thiers, quand il réprime la Commune de Paris en 1871, fait exécuter 23 000 personnes pour la seule Semaine sanglante. Malgré cela, il existe une rue Thiers dans le 16e arrondissement de Paris.
Robespierre n'était pas au sein du Comité de salut public le personnage « assoiffé de sang » qu'un vulgaire révisionnisme historique a dépeint par la suite. Bien au contraire. Faut-il rappeler que le terme de « tyran » pour le décrire est absurde, puisqu'il n'était qu'un des membres d'une instance collégiale, le Comité de salut public, élue et réélue chaque mois au sein de la Convention ? Le refus viendrait enfin, a dit le maire de Paris, que Robespierre aurait été à l'initiative de la « loi des suspects » de 1792, qui restreignit les libertés publiques. Ce n'est pas exact. Cette loi fut à l'initiative du conventionnel Jean-Jacques Régis de Cambacérès, qui pourtant, ironie de l'Histoire, a droit à une rue de Paris.
Alors, pourquoi s'opposer ainsi à cette demande, portée par de nombreux historiens ? À la Libération, les forces parisiennes, après avoir lutté contre l'occupant nazi, avaient baptisé une place du nom de Robespierre (l'actuelle place du marché Saint-Honoré). Une majorité conservatrice reviendra sur cette décision en 1950. Preuve, s'il en fallait, que la toponymie, c'est toujours de la politique.
Malgré mes désaccords, nous savons que depuis 2001, sous l'impulsion de Bertrand Delanoë, Paris a « changé d'ère ». Il est temps que cela soit aussi le cas concernant la mémoire de Robespierre. Lucide mais opiniâtre, je suis convaincu que nous arriverons à convaincre. Cela prendra le temps qu'il faut. Après tout, ce débat ne dure-t-il pas depuis plus de 200 ans ? Salut et fraternité, monsieur le maire.
Alexis Corbière, conseiller du 12e arrondissement de Paris, secrétaire national du Parti de gauche
(Article paru dans le Monde du 28.06.11)