Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas pris les pieds dans le tapis de la colère. Pas trop eu le loisir, à vrai dire. Et pourtant, on peut dire qu’ils s’en sont donné du mal un peu partout, pour me titiller le nerf à se mettre en rogne ! Tous, ils s’y sont mis, tous vous dis-je. Depuis les gros malins de politicards, venus sur toutes les ondes en rangs bien denses pour fustiger les abstentionnistes (d’autant qu’ici, par chez nous, on connaît la chanson, même qu’on a eu la palme, cette année), en oubliant simplement que si les gars ne se lèvent plus pour aller voter, c’est bien parce que ces mêmes gros malins ne savent plus leur en donner l’envie, à force depuis si longtemps de faire le contraire de ce qu’ils avaient promis. Prochain scrutin, on parie ? Pour l’UMP, tapez 1. Pour le PS, tapez 2. Pour le FN, tapez… etc. Sympa, non ? Au palmarès des fauteurs de colère, on a eu aussi le feuilleton élyséen, la rumeur qui ne dit pas son nom, les démentis par paquets de quinze, c’est même pas moi qui ai dit qu’on m’aurait dit que peut-être ça se pourrait… , et le ridicule ne tue toujours pas, sinon, c’est du coup qu’on retournait voter deux ans plus tôt que prévu ! Dans toute cette comédie, certains jours paroxysmiques, on se disait, un peu gênés, que les voisins tout autour devaient prendre la France pour une drôle de contrée… On avait l’impression que dans les coulisses des réunions internationales, si ça se trouve, ça sifflait le grand air du chef de gare, juste pour nous coller la honte !
D’autres causes de fâcheries ? Y a qu’à demander ! La grève des cheminots, par exemple, et ses reportages au kilomètre, avec en vedette les voyageurs pas contents et au fond, là-bas, en silhouette, faut pas trop pousser non plus, les gars qui revendiquent, à qui on ne demande jamais ou si peu, pourquoi ils ont arrêté le boulot. Par contre, si tu veux être sûr de passer au 20h, une seule méthode, infaillible : tu te postes au bout d’un quai, un jour de grève, et tu te composes une belle tête de type ronchon. À tous les coups tu gagnes, la caméra se précipite, et là, tu lâches la petite phrase magique : « Nous sommes pris en otage, c’est honteux, lamentable, et que fait la police, et tout et tout. » Gagné ! Tu as eu ton quart d’heure américain, les petits-enfants sont contents, z’ont vu Pépé dans le poste, et toi, tu seras salué demain par la boulangère et le poissonnier, c’est pas si souvent qu’on peut dire c’qu’on pense, pas vrai, mâme Fontaine ?
Ben oui, au fait, pendant ce temps-là, que fait la police ? Elle regarde les caméras de vidéo-protection, la police, comme au cinéma. Vidéo-protection, c’est tout nouveau, ça vient de sortir. Avant, on disait vidéo-surveillance. Mais c’était un peu trop coloré Big Brother. Alors maintenant, on a gardé la même machine, mais on l’a appelée protection. Comme ça, les citoyens, ils se sentent beaucoup plus en sécurité. Vu que si un brigand veut piquer leur sac, aussitôt, la caméra protectrice va sauter sur le dos du malfrat et le réduire à moins que rien. Et puis aussi, la police, elle surveille la villa du copain du président, en bas à droite, au bord de la mer, entre Ajaccio et je ne sais plus bien où. Un endroit pour smicards, à coup sûr ! Depuis que s’étaient invités à l’improviste une bande d’empêcheurs de bronzer en rond, on lui avait fourni des gendarmes au Jacquouille, pour lui tout seul. Pendant ce temps-là, ils ne couraient pas après les voleurs. Mais tiens, pendant qu’on y est, en Corse, il ne vous a pas échappé que Môssieur le Président soi-même est allé installer un tout nouveau préfet dans le 9-3. Jamais on n’avait vu ça, et on y reviendra, promis. Mais le préfet en question, vous vous souvenez de lui, bien sûr. Lambert… Christian Lambert… La Corse… Ça vous revient ? Celui qui avait arrêté Colonna. Un homme tout en finesse et en retenue, c’est certain… Vous demanderez aux étudiants de la Sorbonne, du côté du CPE, en 2006, ils vous expliqueront la délicatesse du bonhomme. À côté de lui, Pandraud, c’était bienvenue chez Disney ! Pour régler définitivement la détresse des laissés pour compte de la République, on leur envoie un cow-boy. Quand on pense qu’on paie des gens pour fabriquer des idées de cet acabit, ça fait bizarre, non ?
brigitte blang PG57