L’autre soir, à Forbach, nous étions tous allés voir un film comme on devrait en produire plus souvent. On y était tous. Un gros bout du PG de Moselle, évidemment.
Nous tous devant le film de Gilles Perret, les Jours Heureux. On en parle un de ces jours, si vous voulez bien. Dans ce bijou de cinéma, on croise des types bien. De ceux qui nous manquent beaucoup, là, en ce moment. Et parmi eux, un visage qui m’a tiré les larmes. Souvenir d’un grand jour dans ma toute petite vie.
C’était le 14 juillet 2011. À la Bastille, et alors que les armées défilaient sur les Champs-Élysées, avait lieu un rassemblement contre la xénophobie et la politique du pilori. Nous y étions, avec notre amie Danielle Simonnet.
On était arrivés bien avant, et assis à la terrasse du bistrot qui fait le coin, on a vu arriver les invités. Et l’un d’entre eux est venu s’asseoir à côté de nous.
Un vieux petit monsieur, doux et gentil. On a discuté un bon moment. Il m’a raconté qu’il était né le jour où on assassinait Jaurès. J’ai vite fait le compte. Waouh ! Ça lui faisait donc 97 ans ! Un jeune homme de 97 ans. Un siècle d’histoire, résumé dans un regard si tendre. On a bien critiqué la gabegie de fric dans ce déploiement de forces d’un autre âge. Les Rafale et les Mirage nous assourdissaient la conversation. Les chars passaient devant nous, regagnant leurs casernes. Ça l’a rendu mélancolique.
On a parlé cinéma, ça s’imposait. L’Armée des ombres et Melville, et aussi Claude Berri. Il trouvait que Daniel Auteuil avait été très bien. Et puis, j’ai essayé de l’embarquer sur des chemins plus politiques. À gauche, bien sûr, même si ce n’était pas tout à fait la même que la mienne. Résister, a-t-il dit, se conjugue toujours au présent. Ça m’a bien allumé la souvenance.
En 2001, déjà, quelqu’un d’autre m’avait dit ça. Elle s’appelait Lucie. Avec mes troisièmes, nous l’avions rencontrée le 8 mai 2001 à la réception du ministre des Anciens Combattants. Jean-Pierre Masseret nous avait invitées. Et c’était elle l’héroïne de la soirée. C’est ce soir-là qu’elle avait passé le message, disant à mes petites qu’il leur faudrait toujours lutter pour n’avoir jamais besoin de combattre comme elle avait dû le faire. Elle avait ajouté qu’elle n’avait aucun mérite, que la lutte contre le nazisme était une évidence pour qui avait un minimum de lucidité. Et là, justement, elle avait ajouté, juste pour moi (je vous le promets !) : « Résister se conjugue toujours au présent ! »
Le 14 juillet 2011, à la Bastille, comme à son mari inconsolé je disais le prénom de ma petite fille chérie, Lucie, il m’a regardée, l’œil malicieux. « Quel beau prénom ! Je vous souhaite qu’elle soit une aussi magnifique personne que la mienne. »
Juste le temps d’effacer une larme au fond de mes yeux. Et je l’ai aidé à se lever de sa chaise. On l’attendait là-bas, sur la place. Où il ne viendra pas le 31 juillet 2014, comme il me l’avait promis.
Je ne referai pas son parcours ici. D’autres sauront mieux, à l’évidence. Mais je garderai à jamais ces instants-là, quelque part au fond du cœur. Un vent de conscience était passé dans ma toute petite vie. J’avais croisé l’Histoire, pour la deuxième fois.
Merci monsieur Aubrac.
brigitte blang
(photo rémy blang 14 juillet 2011 à la Bastille)