
En septembre 2000, Xavier Darcos était l'auteur de L'art d'apprendre à ignorer (Plon, 2000) où il dénonçait avec vigueur le système scolaire français. En septembre 2007, Xavier Darcos est devenu un ministre de l'Education nationale comme les autres. Depuis la conférence de presse de rentrée, vendredi 31 août, ce dernier ne cesse de s'abriter derrière le programme électoral de Nicolas Sarkozy d'où il a tiré sa feuille de route: réduction des effectifs, études dirigées et heures de sport supplémentaires. Il était pourtant le pourfendeur attitré des méthodes « modernes » défendues par le pédagogue Philippe Meirieu et qu'ont relayées la plupart des administrations, de gauche comme de droite. Pour une fois qu'un ministre avait bonne réputation auprès des professeurs, il retourne sa veste, manquant une belle opportunité de réforme. Etonnant en effet que cet ancien inspecteur général, commentateur de Voltaire et de Tacite, se félicite des 83% de réussite au bac alors qu'il ne cesse depuis 10 ans d'attirer l'attention sur l'échec scolaire.
Le nouveau ministre n'a pu, cependant, éviter une intrusion du Président sur le dossier, via une lettre au corps enseignant censée reproduire « le coup de Jules Ferry » qui s'était adressé aux instituteurs en 1883. Dans son discours du 5 septembre, il cherche à « concilier deux mouvements contraires » : les « pédagogistes », qui souhaitent que les professeurs adaptent leurs pratiques aux publics de l'éducation nationale, et sont majoritaires dans la bureaucratie de l'éducation nationale, et les partisans d'un retour au classicisme pour lesquels le professeur doit avant tout transmettre des savoirs. Adressant depuis Blois sa lettre aux « éducateurs » (que l'on avait coutume d'appeler « professeurs »), il oscille entre l'épanouissement de l'enfant (pédagogisme) et le développement du savoir (républicain), sans trop savoir où arrêter le curseur. Malgré quelques propositions cohérentes avec son discours électoral de candidat, notamment sur le respect de l'autorité, la laïcité ou encore la valeur de l'apprentissage en soi, Nicolas Sarkozy ne peut pas s'empêcher de contredire son propos en revenant sur l'augmentation des heures de sport, le respect des rythmes de chacun et la réduction du nombre d'heures de cours (donner la priorité à « la qualité sur la quantité », sic !). Il faut dire que, outre l'avantage de rallier l'opinion majoritaire parmi les enseignants et surtout les parents, l'option « pédagogiste », qui avalise la diminution des heures de cours au profit d'activités diverses, a le mérite de coûter moins cher dans un contexte budgétaire difficile.
Adopter le sarkozysme pour éviter le siège éjectable
Bernard Kuntz, président du Syndicat national des lycées et collèges, étiqueté à droite, est très critique sur le fond : « A force de vouloir réduire les coûts, il en oublie de s'interroger sur les structures éducatives alors que tout le monde sait que le niveau baisse. » Preuve en est que le haut conseil de l'éducation, organisme consultatif habituellement très discret, a relevé dans son dernier rapport sur l'école (daté du 27 août) qu'à l'entrée en 6è, 15% des écoliers avaient de très grosses lacunes dans la maîtrise du français et 25% de grandes difficultés. Interrogé sur cette question dans Le Parisien du 3 septembre, le ministre a répondu qu'il mettrait en place une commission sur l'apprentissage du français, présidée par le linguiste Alain Bentolila… Qui avait déjà rendu un rapport sur la question en novembre 2006 et avait été consulté sur ce même sujet par Gilles de Robien en mars 2007.
Dans ce même article, le ministre concluait une réponse sur la suppression des 11 200 postes d'enseignants par une réplique éclairante : « N'oublions pas aussi que nous avons été élus pour sortir l'Etat de la situation où il se trouve, de réduire notre dette. » Frédérique Rolet, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement secondaire, perçoit dans les propos du ministre « une volonté permanente de ménager le monde enseignant et d'affirmer son appartenance à l'équipe gouvernementale. Il essaie de vendre des choses qui, en grande partie, existent déjà. » Un passéisme d'autant plus surprenant que, ministre délégué à l'enseignement scolaire de Luc Ferry, il avait vu un livre d'entretien avec Philippe Meirieu (Deux voix pour une école, Desclée et Brouwer, 2003) repoussé suite aux pressions de Matignon pendant le débat sur la réforme scolaire. Le point de vue de Xavier Darcos avait été jugé trop contradictoire avec celui de son ministre de tutelle et aurait pu gêner les négociations…
Dernière annonce fracassante : les écoliers pourraient chômer tous les samedis. Le ministre en a même discuté avec Bertrand Delanoë : Paris connaît en effet déjà un système de samedi chômé une semaine sur deux dans le primaire. « Cette mesure s'inscrit totalement dans la collusion entre les libéraux et les libertaires, explique Fanny Capel, de l'association Sauver les lettres. Les bobos de gauche veulent une école peu contraignante et, pour les libéraux, la pédagogie sert de voile à des intérêts économiques, à commencer par le tourisme que ces longs week-ends favorisent. » Une thèse que ne dément pas Georges Mochot, président de
Pour Fanny Capel, l'argument économique ne s'arrête pas là : « Le recours massif aux études dirigées et aux intervenants extérieurs pour les activités culturelles et artistiques est dans la droite ligne de l'abandon du service public au profit d'une libéralisation de l'enseignement. » Cette façon de caresser profs et parents offrira-t-elle au moins un automne calme à Xavier Darcos ? « Entre les classes surchargées, les économies de bouts de chandelle et la dotation horaire globale, «pédagogistes» et «républicains» ont toutes les raisons de descendre ensemble dans la rue, assure une syndicaliste. Il se prépare une rentrée apocalyptique ! » Encore une jolie occasion pour Sarkozy d'inviter des syndicalistes au restaurant !