Il avait 77 ans. L’âge, selon certain, d’être confit en sagesse et de cesser de chavirer l’ordre… Mais c’était Prévert, et on ne l’imaginait pas autrement que malicieux. Et conscient du malheur ambiant.
Il était né avec le siècle et avait grandi dans la passion des mots écrits et joués. Très vite l’école l’ennuie, et il préfère déjà celui qui dit oui avec le cœur… Qui s’étonnera de le trouver au côté des surréalistes, chez Duhamel, où on s’adonne aux cadavres exquis comme d’autres jouent à la belote ! Il se brouille avec Breton et quitte le groupe. Mais c’est pour en créer un autre. Octobre, le si bien nommé collectif de théâtre, qui se produit pour soutenir les grèves ouvrières. Les malmenés de la vie l’inspirent, sans toutefois le faire adhérer à un parti. Mais il accompagne, et de quelle façon !, les révoltes, les mouvements de colère. En refusant les étiquettes, les chapelles. Son écriture, c’est une manière d’être, de vivre. Et c’est tout.
Et puis, naturellement, c’est la rencontre avec le cinéma. Celui qui milite, qui dénonce, et aussi celui qui embellit la vie. Pour Renoir et Carné, il écrit des paroles et des scénarios ciselés. Quai des Brumes, Drôle de Drame, le Jour se lève, autant de pépites de son unique « réalisme poétique ». Pour Paul Grimault, son ami, il brode au petit point les dialogues du dessin animé « la Bergère et le Ramoneur ».
Mais c’est tout de même la poésie qui le hisse au rang des écrivains les plus lus, les plus étudiés, les plus représentés. Ce libertaire, cet antimilitariste revendiqué, fait un magnifique pied-de-nez à la sacro-sainte morale tant son nom embellit les façades des écoles, et ses vers animent les spectacles de fin d’années scolaires. Qu’on y fasse le portrait d’un oiseau, qu’on y décline un fameux dîner de têtes, ou qu’à jamais Barbara hante la pluie sur Brest, Prévert est là. Au hasard d’une exposition des clichés de son ami Doisneau, on suit son éternel mégot, sa casquette penchée sur un œil qui pétille. Comme pour nous faire oublier que là-bas, vers Belle-Île, on faisait encore la Chasse à l’enfant.
C’est en Normandie, à deux enjambées de La Hague, qu’il s’en va cultiver son jardin. Un jardin à l’image de son œuvre, admirable fouillis luxuriant. Et c’est au petit cimetière d’Omonville-la-Petite, un autre cimetière marin, qu’on vient le saluer.
Tâchant, pour un instant, d’oublier qu’il est « terrible, le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain, quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim ».
Brigitte Blang