C’est l’histoire d’un homme qui naît en Normandie, le 16 février 1848, mois lourd de conséquences et de mémoire révolutionnaire, et qui va mourir, jour pour jour 69 ans plus tard.
Cet homme aux multiples talents, aurait bien mérité, lui aussi, une commémoration d’envergure nationale. Las, les ors des ministères étouffent les souvenirs des écrits trop amers. Et alors que de nombreux pays étrangers lui ont rendu un hommage appuyé, le nôtre, le sien, n’a pas jugé utile de le remercier de ses œuvres.
Octave Mirbeau, puisque c’est de lui qu’il s’agit, romancier, journaliste, dramaturge, amateur d’art, homme engagé aux côtés des maltraités, des laissés pour compte de la société, s’est acharné par ses écrits à démonter tous les rouages de la mécanique soi-disant sociale de son temps.
Né dans une famille de notables, il étudie dans un collège de jésuites, dont on va le chasser de manière pour le moins trouble. Des années plus tard, dans son roman autobiographique Sébastien Roch, il mettra en lumière les viols perpétrés par des prêtres sur de jeunes garçons. Comme il dénoncera dans sa pièce le Foyer les abus de certaines « associations charitables » sur de très jeunes filles. Entreprise audacieuse pour l’époque…
Voilà un homme qui ne voile aucune vérité. Ni celles-ci, ni encore moins celle de la défaite de 1870 qu’il vit de l’intérieur et décrit comme le journaliste qu’il va devenir au lendemain de la débâcle. Et c’est en anarchiste qu’il poursuit son œuvre. Le Journal d’une femme de chambre donne la parole à une domestique, comble de la subversion ! Et c’est par son regard que le lecteur approche les dessous et les dérèglements de la « bonne société ». Sa pièce Les affaires sont les affaires pourfend la bourgeoisie dominante, avide de notoriété, fût-ce au prix de la vie et du bonheur de ses propres enfants. À seule fin d’éclairer ses contemporains et de secouer les consciences parfois engourdies de son époque. Quoi d’étonnant alors de le retrouver auprès de Zola pour défendre Dreyfus ? Et de voir son nom dans les colonnes de l’Humanité ?
Son soutien aux artistes n’est pas en reste dans cette vie fourmillante d’innovations. Monet, Gauguin, Rodin, Camille Claudel, autant de génies qu’il va s’obstiner à imposer. Et Van Gogh, dont il acquiert les Iris et les Tournesols.
Admiré par Tosltoï qui le tenait pour le plus grand écrivain français de son temps, Mirbeau n’en fut pas moins un grand pourfendeur de l’État oppresseur. Peut-être est-ce cela qu’un siècle plus tard, il paie encore de cet oubli institutionnel aveuglant ?
Brigitte Blang