C'était il y a 11 ans.
C'est toujours vrai ce matin... Je veux dire ce silence pesant.
Heureusement que nos mémoires sont encore vaillantes, nous qui avons l’âge d’avoir vécu ces événements-là, car s’il fallait compter sur la radio pour nous rappeler qui était Francis Jeanson, et quel Homme, -oui quel Homme, ce n’est pas une erreur de frappe- la France vient de perdre hier, eh bien, on serait pour le coup réellement orphelins. Ce matin, aux aurores, on annonce sa mort. Commentaire : « Il était proche de Sartre… ». Fermez le ban ! Alors, pour les petits jeunots qui n’étaient pas nés en ce temps-là, (Vous savez bien, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans, etc.) un bref rappel de qui était le bonhomme, son œuvre, son humanité. Juste un hommage, Monsieur Jeanson.
Francis Jeanson, c’était le fondateur du réseau des porteurs de valises, pendant la guerre d’Algérie. Le réseau Jeanson, justement. Rien de ce qui est humain ne lui était lointain, conjuguant le verbe « philosopher » au présent de l’actif, s’engageant auprès des combattants de la Liberté, sur les territoires colonisés, comme dans les usines ou les hôpitaux psychiatriques, croisant sur ces champs de lutte les esprits les plus généreux de son époque.
C’est par le journalisme, au quotidien communiste Alger républicain, qu’il rencontre Camus et Sartre. Lequel lui laisse pour quelques années les rênes des Temps Modernes. Dès 1955, il dénonce les échecs criants de la colonisation en Algérie, dans son livre « L’Algérie hors-la-loi ». Dès lors, son choix est sans appel. Il entre en contact avec le FLN, et crée le « réseau Jeanson » afin de collecter des fonds destinés à la Révolution algérienne. Le réseau Jeanson ne vivra pas vieux. Et son fondateur devra entrer en clandestinité.
Le procès Jeanson, comme celui de Georges Arnaud d’ailleurs, fera date. Il devient en fait celui de la guerre d’Algérie. Grâce en partie aux avocats Vergès et Dumas, qui font témoigner Sartre, des insoumis également. Paul Teitgen, secrétaire général de la Préfecture d’Alger, vient déposer. Il reconnaît les tortures, qui l’ont amené à démissionner. La France sait désormais que des Français aident les Algériens combattants de leur indépendance. La sympathie change de camp. Cette sale guerre dégouline sur les consciences. Et rien n’arrêtera plus l’Histoire, ni l’OAS, ni les généraux putschistes. Francis Jeanson a participé de cette histoire, il en a écrit des pages les plus humaines, les plus honorables. Le jugement par contumace est sévère : 10 ans fermes. Le mot trahison résonne, qui ne s’est pas tu, malgré les ans qui passent. De courageux nostalgiques continuent d’insulter son nom.
Amnistié en 1966, il prend la tête de la Maison de la culture de Châlon-sur-Saône, nommé par Malraux. Son engagement se poursuivra, aux côtés de Léon Schwartzenberg en politique, ou dans l’association « Pour Sarajevo ».
Voilà, en peu de mots, trop peu de mots, à l’évidence, ce qu’il aurait fallu que la radio nous raconte ce matin. Sans oublier tous ceux qui luttèrent de près ou de plus loin pour « défendre des valeurs que la France avait trahies dans des guerres sans nom. » Henri Alleg, Maurice Audin, Robert Delavignette, Pierre Vidal-Naquet, Jacques Pâris de Bollardière, et tous les autres, tous ceux qui ont dit Non ! simplement au nom de l’humanité…
« Avant de s’indigner des atrocités commises en Algérie, il faut se demander pourquoi nous avons fait la guerre au peuple algérien et pourquoi nous avons laissé faire des choses qui n’avaient pas de raison d’être. »
Francis Jeanson
brigitte blang pg57