Je suis Normande, ça, c'est fait ! Le 6 juin 44 ça me cause d'autant plus que l'imagerie, dans ma famille, passe par un père cheminot et communiste et résistant, ce qui était en ce temps-là largement compatible.
Juste parce que ce matin face à face avec ma tasse de thé, j'entendais les questionnements des uns et des autres sur la présence controversée de Poutine par chez moi là-haut aujourd'hui.
Ça m'a titillé la souvenitude.
Il y a 20 ans, déjà, on nous avait fait la même, dans l'autre sens. Il s'agissait cette fois-là de ne pas inviter les Allemands (tous d'abominables nazis, vous savez bien...).
Dans la mauvaise foi ambiante s'était élevée une voix un peu décalée. Je n'ai pas eu à chercher loin, l'article découpé est épinglé au mur de mon bureau depuis 20 ans. Alors, bien sûr que ce n'est pas le même débat. Mais c'est important de rappeler que déjà il y a 20 ans, nous étions du bon côté du combat. Et que déjà, on parlait de Le Pen... (brigitte blang - photo de Rémy : en Bretagne, novembre 2011)
Il dit ceci, le billet d'humeur :
Le 6 juin, je n’y étais pas.
Le 6 juin, je n’y étais pas. Je ne pouvais pas y être. Je n’étais pas né. Certes, ma liberté en est l’héritière et je ne veux pas oublier les souffrances dont elle a été payée. La mémoire n’est jamais de trop. Mais ma génération vit avec les Allemands comme avec des amis et des partenaires. Ce présent nous fait lire le passé autrement et, j’ose le dire, plus lucidement. En 1945, c’est le nazisme qui a été défait. Et les Allemands en ont été aussi libérés que nous-mêmes de Pétain et des collabos. Je tiens à cette précision, c’est elle qui donne le fil de l’avenir européen. C’est pourquoi je le dis franchement : je n’aime pas les commémorations faites sans les Allemands, quand elles donnent l’impression d’être faites contre eux. Et je suis révolté, lorsque je lis l’explication d’un Pandraud au refus de leur présence aux commémorations du débarquement : « Et pourquoi pas Hitler, s’il était vivant ? » L’Allemagne, ce n’est pas le nazisme. La France, ce n’est pas Pétain ni Le Pen. La Serbie, ce n’est pas Milosevic. Et tant qu’à célébrer les débarquements d’une manière pédagogique, celui de Provence aurait été plus instructif pour des milliers d’imbéciles racistes. L’armée française d’Afrique, celle de Monte-Cassino par exemple, c’était aussi beaucoup de Marocains, d’Algériens, de Sénégalais. En nous aidant à retrouver notre liberté, ils préparaient d’ailleurs la leur. Contre nous. La lutte pour la liberté, c’est contagieux. Je préfère cette contagion à celle de la lutte entre les peuples.
Chacun ses nostalgies !
Jean-Luc Mélenchon
(paru le 18 mars 1994 dans Vendredi, l'hebdo d'un parti qui était encore un peu socialiste)