Les deux pieds dans l’agenda de campagne. Tracts, marchés, bistrots improbables au fond des cités… Une campagne, quoi.
Vendredi, on était à Saint-Avold. Bonne pioche, on tombe sur les copains de la CGT qui diffaient eux aussi, pour les retraites. On se retrouve, bien sûr. Chez eux, tu rencontres tous les cas de figures : ceux qui vont voter NPA, ben oui… Ceux qui sont proches du PC et donc partagés, puisqu’ici, en Lorraine, le PC, etc. etc. Vous connaissez déjà l’histoire ! Il y en a même qui signent notre comité de soutien. Tous les cas de figures, je vous dis ! En parallèle, les gars du cirque Fratellini, qui nous apprennent qu’ils ne peuvent pas voter… Curieux, non ? Parait que ce serait le Grand Charles qui aurait inventé ça. Faudra qu’on vérifie. Et puis, au détour d’une allée, entre les fruits et les décos un peu kitsch, le conseiller général du coin, Fabrice Boucher, que je connais bien pour l’avoir longtemps côtoyé au PS, à l’époque où nous y étions tous les deux. Fabrice, il en est parti avant moi, bien avant. Et ça ne l’a pas empêché d’être élu, face au candidat officiel du Parti. Fabrice signe, lui aussi, et ça nous fait chaud au cœur, parce que si quelqu’un a les idées à gauche et pas que les idées, c’est bien lui. Globalement, les chalands sont plutôt sympas. En tous cas pas hostiles. Front de Gauche, Parti de Gauche, communistes avec nous, et aussi les autres, un peu de pédagogie au passage, histoire de se dérouiller un minimum l’argumentaire. Ici, c’est un public modéré, la mairie est à droite depuis des lustres. Même si ça a failli basculer la dernière fois. Mais les habitants, les Naboriens, qu’on les appelle, sont prêts à nous écouter. Stéphane croisera pas mal de ses élèves, et des parents aussi. À midi, on se fait un plat de nouilles chez un gars très amical. Tiens, un ancien du PS, lui aussi. Encore un. Ma parole, il leur en reste ?! On se demande ! Lui aussi est plutôt favorable à notre démarche. On finit par parler de tout autre chose, quoique… : la Cité de l’Immigration, là où on trouvait avant le Musée des Arts africains et océaniens, autrement dit le Musée de la colonisation. Ça a de l’allure, ce bâtiment. Un faux air de ce qui se faisait dans les années 30, avec fresques et toute la symbolique colonialiste, bons toubibs et pères blancs assortis. Ibrahim, le patron du troquet, il ne connaît pas. On lui conseille d’aller voir, des fois que ses racines… va savoir.
Samedi, changement radical d’ambiance. Behren-lès-Forbach. En plein bassin houiller. Ou plutôt en plein ce qui fut le bassin houiller de Lorraine. Vous voyez mieux, à présent, oui ? C’est très particulier ces villes qui furent des bastions ouvriers, avec la cité bâtie là-bas loin du cœur de village. Le marché, il est au pied des barres. Drôle d’atmosphère. Des visages fatigués, des femmes en foulard, des hommes en djellabas, des barbus, beaucoup, un stand Coran et tapis de prière, et puis l’inévitable marchand de matelas qui te balance son mépris de la politique au visage. L’air de dire « Pauvres gens, va, vous n’avez que ça à faire de votre week-end… ». Non, justement, on aurait eu aussi d’autres trucs sur le gaz, mais qu’on a repoussés pour après le 21 mars ! Sur cinq gars que tu arrêtes avec ton bout de papier, il y en a trois au chômage et deux qui ne sont pas inscrits sur les listes, pour cause de je m’en fous, ou de je suis gitan, et nous, ceux du voyage, on ne vote pas (tiens, comme ceux du cirque…) ou plus fréquemment, parce que tout simplement, ils sont étrangers. Sur cinq qui acceptent de discuter le coup, pas mal ont oublié à quoi sert la Région, si on le leur a jamais expliqué. Des jeunes, qui ne plairaient pas bien à Mâme Morano, vu que la casquette, ils la portent un peu à l’envers. Des moins jeunes qui racontent leur arrivée ici en 55, quand la cité c’était quelque chose, il y avait des salles de bains, vous imaginez le luxe. Des femmes retraitées, veuves de mineurs, italiennes, algériennes, allemandes. Et puis, les rencontres qui valent leur pesant de cacahuètes. Les deux témoins de jéhovah, que je ne reconnais pas - forcément !- à qui je fais l’article et qui se mettent eux aussi en retour à me vendre leur programme, largement moins alléchant que le nôtre ! Les militants de l’UMP, ben oui, on est samedi, ça pullule les diffeurs de tracts, et de tous bords. Ceux-là sont un peu goguenards. Ils ont un chef de file façon gendre idéal, sourire émerisé et cravate assortie. On échange trois mots et on se sépare, sans trop de regrets d’ailleurs. Juste deux stands plus loin, l’équipe (deux !) du président sortant. En vrai, ils sont des potes de l’ancien maire socialiste du patelin, et c’est par pure solidarité avec le battu de 2008 qu’ils font le boulot. Après ça, les idées, ma foi… Gentiment, on leur fait observer que leur tract ne porte aucune appartenance politique. Pas plus de PS, que de PC, ni rien d’autre. De rose au poing ? Cherche loin, camarade ! Perfidement, l’air de pas y toucher, on leur demande si Masseret par hasard, n’aurait pas, lui aussi, quitté le PS. Ils ne savent pas. Tu parles ! Du coup, on s’en donne à cœur joie à partir de là : le Front lorrain de Gauche, la Gauche qui n’a pas peur de dire son nom ! On a un petit succès, et on se réjouit à l’avance de l’effet qu’on fera sur les marchés à Metz ! Et puis on termine au bistrot de la cité. Bistrot-PMU. Comme vous n’oseriez même pas le mettre dans un film. Murs écaillés, billard délabré, mais du monde, du monde qui te raconte la taule à Metz, et ceux qui dedans ne voteront pas, eux non plus, du monde qui vient jouer son espoir au quinté. Parait que le tiercé ça n’existe plus. Tout fout le camp, décidément. Même la rose sur les tracts de Jean-Pierre Masseret. Et ça, quand même, ça fait bizarre.
brigitte blang