J’ai prononcé cette allocution à Metz au cours de la cérémonie initiée par la Libre Pensée de Moselle et la LDH, ce dimanche 11 novembre.
Il y est question de réhabilitation, de littérature, de femmes aussi.
« Je viens de refermer le dernier roman de Jean Échenoz. Son titre ? 14. Tout est dit, n’est-ce pas. Au chapitre 13, nous suivons un des cinq héros, Arcenel, pour une tragique promenade.
Ils sont partis à 5. 5 copains d’un coin de France. On les voit tomber l’un après l’autre. Et Arcenel ne va plus supporter la guerre sans ses compagnons. Il va partir se promener, un matin de printemps, un matin de cafard. Se promener nez au vent. Comme n’importe qui. S’en aller faire un tour. Respirer un air avec de vrais parfums. Suivre dans le ciel de vrais oiseaux, pas seulement des corbeaux. Sentir de vraies fleurs. S’amuser d’un lapin débusqué qui détale sous ses pieds. Juste se balader une heure ou deux, hors du bourbier universel. Sauf qu’un simple promeneur, par ces temps-là, ça se dit « déserteur ». Au détour d’un sentier, des chevaux, et des gendarmes assis dessus. La promenade matinale s’achève, les yeux bandés, face au peloton. Et ici comme partout, toute la troupe défile devant son corps affalé au pied du poteau. Pour l’exemple. Comme tous les autres. Comme les 650 autres.
Comme Émile Lhermenier, un Sarthois, abattu lui aussi dans l’Aisne, avec 3 des ses camarades. Le plus jeune n’avait pas 19 ans. À ceux qui l’ajustent, il crie au moment de tomber : « Mourir, moi ? Allons donc ! C’est impossible ! ». Car oui, en effet : « c’était un temps déraisonnable… ». Un des hommes du peloton sombrera dans la démence, et lui aussi finira oublié.
Oui, oublié, comme Adrienne Thomas, dont ce lieu porte le nom et à qui la Ville de Metz a mis si longtemps (trop longtemps ?...) à rendre hommage. Pourquoi donc honorer ici une femme ? Une femme allemande, qui plus est ? Peut-être justement pour cette unique raison… Une Allemande, et qui aimait la France. Avouez que ça n’est pas bien raisonnable, non plus. Et pourtant… C’est bien ici, dans cette gare même que la conscience humaine et pacifiste d’Adrienne va s’éveiller.
Car c’est ici que se croisent les convois de soldats, de blessés. Ceux qui partent au front, ou ceux qui en reviennent. C’est ici que la barbarie lui saute aux yeux, comme une évidence. Comme pour tous ceux qui soignent, calment, apaisent. Un jeune déserteur allemand est fusillé, là, sur place. Un de ceux qu’on oblige à mourir, et dont le seul crime est de n’avoir pas voulu mourir… Elle ne s’en remet jamais vraiment. Et pour conjurer les souvenirs obsédants d’horreur c’est l’écriture qu’elle choisit. Son « Kathrin wird Soladt » (Catherine soldat) parait en 1930. Succès immédiat, dû essentiellement à sa vision féminine des événements.
Rattrapée par le nazisme, parce que dans les années 30, en Allemagne, vous savez bien, être juive n’est pas bien avantageux, une vie d’errance va commencer et qui s’achèvera bien plus tard, en Autriche.
Il faudrait aussi réveiller un autre nom, celui d’Emma Bujardet, la seule femme qui ait les honneurs (honneurs ? en sommes-nous si sûrs ?) d’un monument aux morts. Morte de chagrin, dans la Creuse, après avoir enterré ses 3 fils, fauchés par cette boucherie implacable. Sacrifiés à la Grande Guerre, dont je persiste à penser qu’elle n’eut de grand que le nombre de vies fauchées en plein élan.
Et puisque vous m’offrez de pouvoir m’exprimer, en ce jour anniversaire, permettez-moi d’en profiter pour soulever un débat qui ne fait pas, et c’est bien dommage, la Une des gazettes et des médias de toutes sortes. Il serait donc question de réunir en une seule et unique commémoration le 100ème anniversaire du début de la Grande Guerre et le 70ème de la Résistance. Ah bon ? Rassurez-moi. La Résistance, c’est pourtant bien en juin 1940 qu’elle a débuté. Ou je me tromperais ?
Il n’y a aucun point commun entre ces deux guerres, si ce n’est justement d’être des guerres et de broyer des hommes. Comment dès lors accepter l’amalgame qu’on nous propose ? Amalgame qui n’a qu’un but : mettre dans la lumière politique celui qui sera chargé de mener au bout cette mission contre nature.
Enfin, je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le sujet qui nous rassemble ici et rappeler que TOUS, nous réclamons pour tous ceux qui tombèrent sous les balles des pelotons la réhabilitation pleine et entière. La réhabilitation sans exclusive. Et sans demande de pardon. Oui, mes amis, nous vivons dans une République laïque et nous n’avons que faire d’une quelconque condescendance amenant à trier les bonnes et les mauvaises brebis. Tous les fusillés doivent être réhabilités, car ceux-là, nous n’oublierons pas qu’ils sont morts PAR la France. Réhabilitation, totale, pour tous. Et le plus vite sera le mieux.
Et que pour toujours, maudite soit la guerre ! »
brigitte blang
(photo rémy blang Metz le 11 novembre 2012)