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le blog de brigitte blang

l'actualité politique vue par une militante de gauche.


du côté des disparus

Publié par prs 57 sur 31 Décembre 2007, 00:00am

Catégories : #un peu de ciné - de lecture - de culture

Voilà la fin de l’année qui se pointe. Demain, on aura tourné la page. Une année à oublier vite vite, si on peut. Sur tous les médias, on a droit à tous les flash-back possibles et imaginables : musique, chanson, ciné, bouquins, nouveau président, nouveau divorce, nouvelle candidate, bref, tout ce qui a pu faire qu’on a envie de se barrer loin, loin, très loin de tout ça. On va avoir droit aussi, évidemment, aux hommages divers et variés aux « grands disparus ». On a déjà donné, ici : depuis Jean-Pierre Vernant, jusqu’à Lucie Aubrac, en passant par l’ Abbé Pierre, à chaque fois, on s’était fendu d’un petit mot. Mais, depuis, il y en eut d’autres et non des moindres. Dans la rubrique nécrologie, nous sont tombées dessus, la semaine dernière, deux nouvelles pas drôles du tout.

Côté musique, jazz, pour être complète, Oscar Peterson, le grand parmi les grands. Pianiste de génie, militant infatigable des droits des noirs, rien que son nom, tu rêves. Et pour peu, qu’en plus, Jonasz s’en mêle… « Un peu parti, un peu naze… » tu y es, tu descends toi aussi dans la Boîte de Jazz, la Huchette ou les 7 Lézards, mais tu participes, même et surtout si tu ne distingues pas un Ré d’un Sol !

 Le deuxième, bien sûr, Julien Gracq. Les canards de tous bords, les radios, les télés y sont allés de leur hymne philosophico-littéraire, sur la grandeur du bonhomme, le refus du Goncourt, le bout de route avec les communistes, toute son œuvre passée au peigne fin, afin d’y déloger les pépites.  Ça je ne sais pas faire. Par contre, je peux vous dire ma joie, en rentrant l’autre soir, de retrouver LE bouquin indispensable, celui que même si vous n’aimez pas lire vous allez l’empoigner, et ne plus le lâcher. Voilà l’objet : «  Carnets du grand  chemin ». Comme toute l’œuvre de Gracq, celui-ci est édité chez José Corti. Ce n’est pas innocent : les pages ne sont pas massicotées, ça veut dire que cette lecture se mérite, ce n’est pas plus compliqué que ça…   On s’arme d’un coupe-papier, et on démarre. Il va nous embarquer, l’air de rien, sur des routes, géographiques dans un premier temps, une espèce de Tour de France, à pied, à bicyclette, en car aussi. Et puis, petit à petit, on glisse vers des chemins moins touristiques, plus littéraires, et même souvent plus politiques, quand on se retrouve en URSS, par exemple. On est dans le paysage, dans les livres, dans la mémoire, dans l'histoire, dans l’esprit. Le mot « voyage » prend ici toute sa valeur. Bien sûr, ce n’est pas le Guide du routard. Mais, c'est autrement mieux et finalement, on s’y retrouve. Pour saluer cet homme unique et qui va nous manquer, c’est sûr, je vous ai choisi deux ou trois morceaux de bonheur de la lectrice affamée qui vous cause !

 Je vous les livre par petits bouts, en plusieurs épisodes, on dira. Et d’abord, un tour en Corse (coucou Hélène …), parce que José Corti, le libraire, l’éditeur, l’ami, il était de descendance corse, justement. Plus tard, on ira ailleurs, vous verrez, sympa aussi, même que pendant la guerre, il est venu par ici, à Keskastel, car ce n’est pas pour nous vanter, mais par chez nous, on a des patelins qui s’appellent comme ça… Pouvez pas en dire autant, bande de Parisiens !

 

  Ajaccio : plage de l’Ariadne. Nous quittions la ville le matin par le car ; nous établissions nos quartiers dans un petit bar de la plage. On y déjeunait sans apprêts à midi sur le sable, à l’ombre d’un grêle parasol, mais excellemment, de poisson grillé et de fruits, dans le bourdonnement des guêpes de la canicule. Le pick-up de l’établissement, qui s’activait de bonne heure pour toute la journée ouvrable, ne disposait que de quatre ou cinq disques, entre lesquels repassait chaque fois rituellement, comme l’hymne national à Londres après le film, L’Ajaccienne  chanté par Tino Rossi.

                                  Qu’il soit fêté dans sa maison
                                  L’en-enfant prodigue de la gloi-âre

                                             Napoléon ! Napoléon !

 Il faisait beau, inaltérablement. Dès sept heures du matin, quand nous sortions de la maison, la chaleur sèche faisait vibrer les rues : ce furent huit journées tout entières d’un bleu d’argent, cousues l’une à l’autre plutôt que séparées par le bref entracte de la nuit de velours. À peine arrivés, nous nous dévêtions et nous plongions, explorant avec une curiosité inépuisable la faune et la flore de ces fonds transparents : les masques sous-marins étaient alors dans leur nouveauté ; à peine séchés sur la rôtissoire du sable, nous replongions ; quand nous émergions et que nos oreilles se débouchaient, une voix de ténorino fluette buccinait obstinément sur les eaux, dans la distance, comme une revanche musicale de Trafalgar.

                                      Lannes, Murat, l’état-major
                                      Lannes, Murat, l’état-major

 
  Vers la fin de l’après-midi, le ciel pâlissait lentement derrière les montagnes dont la chaîne de l’autre côté du golfe, s’enfuyait obliquement vers le sud-ouest, mais la chaleur restait assise sur les collines et sur la mer, inaltérable ; nous revenions " lassés, mais non rassasiés ", de soleil, de scintillements et de fraîcheur- le refrain obsidional de L’Ajaccienne dans nos oreilles finissait par associer malgré nous le nom du Corse solaire, né le jour de la Vierge, à cette assomption de lumière et de chaleur : ce fut une semaine tout entière, une semaine glorieuse de Napoleonwetter.
(1)

 
(1)     Dans l’Allemagne nazie, on appelait Hitlerwetter (le temps de Hitler) le temps qu’il faisait le jour des fêtes national-socialistes. Il était censé être toujours ensoleillé.

 

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