Hier soir, sur les écrans de nos télés, on a eu droit à un chouette moment. Retour de Chine, notre président est venu nous montrer à nous, pauvres pékins de base, qui c’est le chef… Et là, quand même, faut bien se rendre à l’évidence, le chef, c’est lui. Plusieurs raisons à cette constatation définitive (et pas rassurante, ah ça non…).
D’abord, il nous arrive plein écran, face aux cireurs de pompes de service, et pendant tout le temps que dure l’entretien, quelques trop longs quarts d’heure, il nous tartine des moi je, c’est moi qui, je vais faire, j’ai dit, je pense que… Les ministres ? Aux abonnés absents. Le premier d’entre eux, comment il s’appelle déjà ? Oublié. Les grévistes ? C’est lui qui les a matés. Les étudiants pas contents ? Il va te les ramener par la peau du dos à l’école, non mais ! Les banlieues à la ramasse ? Il va mettre en prison tous ces voyous, vite fait, circulez. Y a pas de misère, y a pas de chômage, rien que des menteries, la preuve, c’est LUI qui le dit. Alors ! Lui, lui, lui, encore lui, toujours lui. Son ego surdimensionné a pris soudain toute sa valeur. Tu parles, il rentre du plus grand pays du monde, ça se voit, fatalement.
Pour ce qu’il a dit, c’est une autre histoire. Il était venu dans le poste pour nous parler du pouvoir d’achat. Pas le sien, le vôtre, le nôtre. Il a les solutions, lui, le cador, le chef. Il sait quoi et comment et où. C’est facile. Y a qu’à bosser plus, t’auras plus de blé. Lui, il a fait les écoles, il traduit : travailler plus pour gagner plus. Sauf que nous, ce qui nous arrangerait, ce serait plutôt de travailler moins pour travailler tous. Lui, il ne voit pas du tout les choses comme nous, on l’a bien compris. Faut remettre du carburant dans la machine, qu’il dit. Il a le sens de l’humour, le président, vous ne trouvez pas ? Au prix du litre de super… il nous parle de carburant. Doit pas avoir le sens des réalités, ce garçon-là. Vous voulez du pouvoir d’achat ? Ben oui, qu’on répond, tiens donc. Bien sûr qu’on en voudrait un peu, enfin un peu plus. Il a le truc : va falloir faire des heures sup. Voilà. Pas d’augmentation du SMIC. Non non. Des heures sup, et aussi bosser le dimanche, pour ceux qui veulent. Ici, on n’a pas fait d’études d’économie, mais si on comprend bien, ça veut dire tout bénéf pour les patrons, les gars du Medef, ils boivent du petit lait. Avec les cadeaux qu'il leur a faits l'été dernier, déjà... Les fonctionnaires, eux, naïfs, ils pensaient qu’on allait leur filer un petit coup de pouce. Non, tout pareil que les autres : des heures sup. Mais qu’est-ce qu’il croit, ce type ? Quand on a bossé toute une semaine, et dur en plus, qu’on a encore envie de rester des heures au bureau, à l’usine, sur le chantier, dans la salle de classe ? Eh non, on voudrait bien profiter un peu du temps libéré, pour se promener avec ses petits, ou chercher des champignons, ou seulement lire, ou se faire un ciné, ou rien, tiens, pendant qu’on y est, rien faire, pas mal non plus… mais en tout cas, pas d’heures sup. Alors, évidemment, au prix où ils sont payés, les travailleurs, ils ne vont pas discuter longtemps, surtout s’ils ont la maison à rembourser. Ils vont vraiment travailler plus pour gagner plus. Pour dépenser plus aussi, c’est sûr. Et lui, le chef, pendant ce temps-là, il va vendre les bijoux de famille pour retaper les écoles, enfin, les facs, c’est pareil. Et puis, pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, il va aussi virer quelques fonctionnaires, de ceux qui travaillent déjà si peu qu’on ne se rendra même pas compte qu’ils ne sont plus là. Quoi encore ? Quelques coups de canif dans le contrat, les 35 heures, les RTT, à dégager. Son pouvoir d’achat à lui, il a oublié de nous en parler, au fait. Son SMIC à lui, c’est de combien qu’il l’a fait décoller, déjà ? Accordons-lui quand même cet avantage: les deux en face, j’ai oublié leurs noms, ils ne l’ont pas vraiment asticoté sur le sujet non plus. Lui, le chef, il n’allait pas se tirer une balle dans le pied.
Et tout ça en agitant le poignet, magnifique le poignet, avec une montre comme on n’osait même pas l’imaginer. Style nouveau riche… Qui dîne au Fouquet’s les soirs de fête, ce genre. Rappelez-moi, il rentre d’où, le président ? De Chine ? Vous verriez pas qu’il se serait fait refiler une contrefaçon ?
brigitte blang prs 57