PS : l'autre fête des voisins
Par Nicolas Domenach, directeur adjoint de la rédaction de Marianne.
C'est formidable la fête des voisins. Ca permet à tout le monde de se retrouver pour un soir au moins, ou même tout simplement de se rencontrer. Vous pensez, on n'en a jamais le temps dans la vie de tous les jours. On se croise. On est mal réveillé. On se fait la gueule de bois. Aussi, depuis l'échec de la présidentielle et le début de la campagne législative, ils n'avaient pas eu l'occasion d'être, « tous ensemble, tous ensemble, ouais », ces militants et dirigeants de la grande maison socialiste. D'ailleurs il y avait quelques chaises vides et aucune illusion sur l'avenir, les lendemains seront difficiles.
Enfin, ce n'est pas tous les jours que peuvent se réunir sans s'engueuler ces voisins qui ne se supportent plus, l'un parce qu'il fait des sardines au barbecue tous les week-end, l'autre parce qu'il invite les copains qui regardent le foot à la télé en criant, en buvant de la bière, et en faisant des plaisanteries de vestiaire, l'autre parce qu'il passe en boucle les discours de Malraux sur l'entrée de Jean Moulin au Panthéon à force de vivre en face, l'autre encore qui fait la fiesta toutes les nuits parce qu'il se croit toujours étudiant et celle aussi qui veut mettre des drapeaux partout et des plantes vertes et des sourires et pourquoi pas la messe obligatoire ! Bref, pour une fois il ne s'agissait pas de se disputer et dans cette fête des voisins, il était interdit de mal parler des voisins.
En signe de bonne volonté, on s'est même passé non pas un enfant mais une rose de main en main, une rose blanche, après une entrée réussie en commun, Ségolène Royal en tête, casaque rose, jupe noire, et ces messieurs qui lui faisaient escorte un peu en retrait, François Hollande, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et Bertrand Delanoë, qui se refusait à laisser parler Ségolène Royal en premier. Tout de même, il y a un règlement de copropriété à respecter ! Pas question de galanterie ou de priorité à la candidate non victorieuse de la gauche. Non ! Non ! Non ! A Paris, c'est le maire de Paris qui doit commencer. Avec la voix éraillée qui convient à l'orateur socialiste en campagne. Bertrand Delanoë se gardait d'aborder le sujet qui fâche, ce dont tout le monde causait en coulisses, la future refondation du parti et de la bataille pour sa direction. Il n'était question que d'unité, de rassemblement contre l'hyper pouvoir sarkozyste. Mais qu'il était difficile ce rassemblement : une bonne partie de la salle sifflait quand Delanoë saluait ses voisins méritants, DSK, Laurent Fabius et Pierre Mauroy. Et lorsque Strauss-Kahn intervenait, c'était un vrai chahut qui soulevait une partie de la salle alors que le message du retraité de l'Ile de Ré, Lionel Jospin, provoquait une véritable bronca. Les voisins ne sont pas toujours gentils.
Pourtant, Ségolène Royal toute fraîche et pimpante en appelait à une « campagne généreuse et joyeuse ». Et cette fois, elle ne se faisait pas chahuter comme lors du meeting des primaires socialistes quand elle avait déclaré que « la démocratie c'était comme l'amour, plus on en donne, plus elle grandit ». Pas de moquerie, pas de charivari. Un triomphe ! Pourtant, je vous garantis qu'elle n'a pas particulièrement progressé dans son art oratoire, ni dans sa gestuelle qui se limite toujours au cours de rééducation pour handicapé polytraumatisé, victime d'un grave accident de la route. Mais elle provoque cette fièvre, cette ferveur qui fait se lever et communier ses fidèles debout, criant « merci Ségolène, merci » alors que l'animateur de la soirée s'énerve et tente en vain d'y mettre fin en affirmant que « Ségolène Royal a bien compris qu'on la remercie ».
C'était elle la star, même si Laurent Fabius décrochait son habituel joli succès de tribune en appelant à « l'unité et au combat », ainsi que François Hollande qui sait faire rire en dénonçant ce Président qui « court, qui court encore, qui court toujours ». Chacun tentait de galvaniser ce qui restait d'énergie. Et à la sortie de cette fête entre « chers amis », Laurent Fabius et DSK ajoutaient « chers camarades », les militants avaient retrouvé le moral. Enfin un peu le moral.
Cela changerait, une soirée où on ne se dispute pas entre voisins, on se disait même « fiers d'être socialistes » mais immédiatement après c'était reparti : « c'est de sa faute à elle si Sarkozy a gagné ». « Non, c'est de la faute aux dirigeants du parti ». « Une femme comme elle n'est pas capable de diriger un parti ». « La seule solution, c'est Delanoë ». « Non, c'est DSK ». « Non, c'est Ségolène Royal la seule qui nous fasse rêver… ». Je ne peux vous dire comment ça c'est fini. Mais la zizanie était repartie. Au lendemain du second tour, il faudra appeler d'urgence Julien Courbet…
Mercredi 30 Mai 2007 Nicolas Domenach
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