A l'entrée du QG de campagne de notre ami Nico, on "tombe" littéralement sur ce portrait gigantesque du monsieur, qu'une philosophe s'est amusée à décortiquer. Pas le monsieur, le portrait! Voici ce qu'elle nous en dit:
"Cette photo est très intéressante en vérité pour plusieurs raisons. Elle est prise en conformité avec les caractéristiques requises par les photos d’identité accompagnant les documents officiels : noir et blanc, oreilles visibles, sourire sans voir les dents, netteté, très peu d’ombre. L’identité renvoie à deux registres :
-celui de la singularité individuelle,
-celui de l’intégration à tout ce qui est identifiable par des procédures communes et appliquées à tous. On réconcilie la masse avec le sujet et le sujet identifiable devient le représentant de la masse.
Dans le hors champ : on peut inscrire « signe particulier : néant ». L’image exemplaire d’une exception qui ressemble à "tout le monde". Le visage est paisible et se veut pensif, la paix et la pensée étant deux caractères fort inhabituels chez ce personnage qui se veut combatif, réactif voire impulsif et nerveux.
Mais alors comment opère la nature qui se veut convaincante et grandiose de la représentation ? Dans le dispositif d’exposition lui-même, la taille géante du visage alors que le visiteur qui entre dans le lieu est presque de plain pied avec ce visage surdimensionné ; je dis presque parce qu’il y a trois marches. Ce sont les trois marches qui séparent les fidèles de la sainte table ou du retable, trois marches qui traditionnellement séparent le peuple du trône et de l’autel (les trois marches formaient le socle de la croix impériale à Byzance !). Ces marches nul ne les gravira. Elles sont un piédestal qui conduit le regard vers l’icône. L’image est en retrait comme enchâssée dans une alcôve, son reliquaire. Ce retrait accentue le caractère sacré de la figure, compose son épiphanie picturale comme encadrée par sa propre aura ; ce retrait confère une atmosphère aérienne à cette apparition proche et inatteignable conférant au personnage une sorte d’apesanteur, presque sa grâce ! La structure de l’espace avec les marches qui partent à gauche et à droite en forme de V confère à l’ensemble la solennité d’une apparition charismatique qui évoque l’organisation "théâtrale" en usage à l’entrée de certaines loges maçonniques. L’éclairage très travaillé a deux sources :
- l’une explicite venant des appliques latérales placées comme des chandeliers de part et d’autre de l’objet du culte,
- l’autre invisible illumine de l’intérieur le portrait et crée une lueur diffuse sur le front porteur d’illumination ; on est dans l’intimité d’un dieu. Au plus près et au plus loin comme dans le saint des saints. Cette icône de l’accueil met en place un cérémonial de dévoilement dans la tiédeur d’une intimité privilégiée. Rien de fasciste ni de policier dans tout cela. Du religieux en veux-tu en voilà, du sacré dans la proximité et du sacré dans le lointain ! La difficulté pour un Sarkozy c’est d’avoir un corps charismatique, c’est de gagner en autorité invisible ce qu’il ne gagne que par la violence des pouvoirs visibles. Un candidat a besoin de produire de la croyance. Son conseiller en communication a voulu faire faire ce travail compliqué à la photographie. Les recettes sacralisantes sont millénaires. Partout le traitement des corps dans cette campagne est exemplaire."
Marie José Mondzain, Philosophe, Chercheur.