En pleine campagne pour les régionales, en 2010, ça nous a fait un coup de tonnerre, vous vous souvenez ? Il était du comité de soutien à la liste d’Élisa en Rhône-Alpes.
J’écrivais cet article, pour dire que je ne voulais pas passer ma soirée à pleurer.
Et en effet, le soir des résultats, on a passé la soirée à chanter ses chansons…
4 ans, déjà.
La gauche est en deuil
C'était en 67, et le bac c’était quelques jours plus tard. Ferrat passait à Metz ce samedi et j'avais à prendre à 23 h un train qui me mènerait dans l'Ouest. Le billet dans ma poche, dans l’après-midi, j’ai tenté le truc, et je me suis glissée dans la salle où il chanterait plus tard. Au culot, je lui ai dit que le soir, avec le train, tout ça, je n’aurais pas le temps de me faire signer les 45 tours qui dormaient au fond de mon sac. On a parlé un long moment, de mon papa communiste, de Potemkine qui m’avait appris la juste révolte, de Ma Môme qui jouait pas les starlettes, des Nomades et de la Fête aux copains. Et aussi d’un certain P’tit jardin, bien avant celui de Dutronc, mais qui disait la même chose… Écolo de la première heure ? Eh ! Pourquoi pas ? Il a signé les disques, et je suis restée pour la répét, on ne disait pas la balance, c’était il y a si longtemps… J’ai su ce jour-là ce qu’était un artiste sans concessions. Mais qui donnait un vrai spectacle, avec plein de monde avant lui. C’était ce qu’on nommait les vedettes anglaises, puis américaines. Ce soir-là, c’était Francesca Solleville, évidemment et aussi Dupont et Pondu (ça ne s’invente pas !), des artistes à qui il offrait une scène, comme ça, pour juste leur faire la courte échelle. Ces instants magiques je les ai gardés comme des cadeaux, bien planqués au fond du cœur. Nos belles histoires, on n’a pas toujours envie de les partager. Quand je suis revenue au lycée, une semaine après et que j’en ai parlé, un peu, seulement un peu, aux copains, ça les a émus moyen, bien sûr. En pleine période yé-yé ou peut-être même pire, Ferrat, ça n’avait pas trop d’échos dans la cour de l’internat. Du coup, ça te filait un coup de marginalité de bon aloi par ces temps de juste avant 68 ! Après, eh bien, je lui ai écrit, ça se faisait, aussi chez les lycéennes, et pas que pour Claude François ! Et il m’a répondu… Même une carte d’anniversaire, en août 98, autant dire un siècle plus tard ! celle que je vous offre là-dessous. Alors, aujourd’hui on se surprend à fredonner « Camarade », ce joli mot qui « marie cerises et grenade aux 100 fleurs du mois de mai ». On se souvient qu’il avait été le premier à oser faire des camps une chanson, et qu’après lui, tout le monde avait su ce que signifiait Nacht und Nebel. Peut-être le premier à célébrer Garcia Lorca, et aussi Van Gogh. Et pareil pour Vian, mais aussi, chose étrange, à écrire un hommage à Brassens avant qu’il ne soit mort ! Il y a peu, je vous annonçais ici qu’il apportait son soutien à la liste emmenée par Élisa. On se dit que décidément, en cette veille de régionales, la France, sa « France », est en deuil. On se dit qu’on a perdu une espèce de grand frère, qu’il faudra un moment avant de s’en remettre, si on s’en remet. Et que demain, ici et là, dans les réunions d’avant et d’après les résultats, on sera quelques-uns à chanter, à célébrer un homme libre, sans compromis, un homme, quoi…
brigitte blang