Nous vivons désormais -et pour longtemps- au rythme de la crise et de ses soubresauts. La semaine dernière, les bourses ont à nouveau crevé leurs planchers. A l'heure où ces lignes sont écrites, le Dow Jones de New York est à son plus bas niveau depuis 1997. Il a perdu la moitié de sa valeur depuis octobre 2007. Au même moment, les désordres monétaires s'exacerbent. Les pays d'Europe de l'Est vivent l'effondrement de leur devise. On dit que l'euro est menacé par leur chute. En tout cas les banques européennes le sont. Car cette fois ce sont elles et non les banques américaines qui sont les plus exposées. En tête des naufragées potentielles, les banques autrichiennes ont prêté 230 milliards d'euros dans la région, 70% du PIB de l'Autriche ! Un taux de défaillance de 10% suffirait à effondrer le système bancaire de ce pays. Or la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) estime justement que le volume de créances douteuses devrait atteindre 10% et pourrait s'élever jusqu'à 20%.
Une semaine, c'est l'automobile américaine, la suivante les banques britanniques, puis maintenant les autrichiennes... Chacun de ces épisodes aggrave la crise économique globale. Chacun d'eux a également un impact politique sur de nouveaux secteurs et pays. Car cette litanie d'échecs rappelle qu'aucun des plans mis en œuvre jusqu'ici pour faire face à la crise dans les principales économies mondiales n'a réussi. Non seulement les gouvernements ont échoué, mais aucun d'eux n'a su au minimum fixer un cap durable. Leurs plans se succèdent et se contredisent. En France, le gouvernement a commencé par refuser d'entrer au capital des banques. Puis c'est la fusion Caisse d'Epargne Banque Populaire avec l'entrée massive de l'Etat au capital. Aux Etats-Unis il voulait d'abord cantonner les actifs bancaires défaillants pour éviter la contagion à tout le système. Finalement les autorités encouragent les fusions quitte à créer des mastodontes bancaires qui concentrent les risques. C'est du pragmatisme nous dit-on. Mais chacun comprend que le navire tourne faute de connaître le cap qui lui permettrait de s'échapper de la tempête.
Chaque nouveau soubresaut réunit des ingrédients politiquement déflagrateurs. Déjà on voit les signes d'explosions possibles. Dimanche dernier, une manifestation monstre à l'échelle du pays, plus de 120 000 personnes, a occupé les rues de Dublin pour protester contre les plans du gouvernement irlandais. Les dirigeants syndicaux ont appelé la foule à sanctionner le pouvoir par les urnes. Et les mêmes sont censés ratifier dans quelques mois le traité de Lisbonne par référendum ! La Roumanie n'a plus de liquidités. Mais son président déclare qu'il ne souhaite pas faire appel au FMI car il pense impossible de faire accepter par son peuple les contreparties imposées par cette institution dont on finirait par oublier qu'elle est dirigée par un éminent social-démocrate.
L'impuissance des dirigeants s'étale. La richesse des nantis aussi. Jamais les banquiers n'ont renoncé à se gaver. 2008 a été leur sixième plus grosse année en terme de bonus. Des dirigeants sauvés par le contribuable s'arrogent des primes exorbitantes : 5 milliards pour ceux de Merril Lynch au moment où leur banque en faillite en reçoit 20 d'argent public. Quand ça va mal il faut bien compenser. Comment expliquer sinon que la vente récente de la collection privée d'art d'Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé ait battu plusieurs records, sept nous dit-on, au terme d'une première journée d'enchères qui a rapporté à M.Bergé 206 millions d'euros ? A chacun ses békés. Autre cocktail explosif.
Pour l'instant, les Français serrent les dents. Ils ont été des millions à regarder la dernière allocution télévisée de Sarkozy, un record d'audience. Mais ils ne lui font plus aucune confiance, comme en atteste la chute tout aussi record qui a suivi dans les sondages. Le président de la République occupe tout l'espace public mais sa parole ne vaut plus rien. Dans ce gouffre peut se glisser n'importe quoi. L'étincelle peut venir de toute part. De la journée interprofessionnelle du 19 mars, comme d'un service public saigné de toutes parts qui finit par craquer à l'un des points de la chaîne. Nul ne peut le prévoir. Mais dans ce moment ce qui importe avant tout est la construction de consciences éclairées. Face au pouvoir impuissant, il faut une force alternative et raisonnée. Pour cela, il faut démontrer deux choses. D'abord que d'autres peuvent gouverner. Pour la gauche ce n'est pas si évident. Les deux dernières candidatures sociales-démocrates ont connu de cuisants échecs. Les perdants d'hier ou leurs héritiers bouchent toujours le paysage. Une part de l'autre gauche rejette toute ambition gouvernementale. Ensuite il faut démontrer que l'on peut gouverner autrement. Et donc avancer des alternatives concrètes. C'est aussi à cela que serviront les prochaines élections européennes. Nous y montrerons que si l'on rompt avec les dogmes libéraux qui dominent l'Union européenne et ses traités, on peut gouverner autrement. Dès lors il n'y a pas de fatalité à la crise. La chape de désespérance peut se lever. Et l'horizon s'éclaircir dans les têtes, là où tout commence.
par François Delapierre