lu dans l'huma

Le ministre à sept têtes

par Alain Serres, écrivain pour la jeunesse, directeur des Éditions Rue du Monde.

Un ministre a dit que les enfants âgés de deux à trois ans n’avaient besoin « ni d’école ni d’éducation ». Françoise Dolto a pourtant publié ses premiers travaux il y a soixante-dix ans, avant même que naisse ce serviteur de la nation… L’enseignement devait avoir bien des lacunes à son époque ! Un ministre français – sûrement un autre, parce qu’on n’a le droit qu’à une seule énormité dans sa vie publique – a considéré que l’option « sieste et couches » ne méritait  pas cinq années de formation… Quelle ignorance  sur le temps de préparation des activités en petite section de maternelle, sur l’intensité d’attention réclamée par 25 jeunes enfants, sur le fait que l’école n’accueille que des enfants propres et sur le niveau de formation nécessaire en psychopédagogie, justement parce qu’il s’agit de très jeunes enfants et que toute trace faite dans le sable de leur fragile construction reste longtemps inscrite en eux ! Pour le meilleur ou pour le pire…

Pendant quinze ans, j’ai été enseignant dans cette école maternelle française, unique au monde. Et je sais que ce lieu magique, où l’enfant se découvre en découvrant les autres, mérite tous les efforts de la République pour mieux accueillir encore les plus jeunes, particulièrement ceux issus de milieux défavorisés.

Un autre ministre a avancé l’idée de supprimer les IUFM, feignant d’ignorer que sous-former les enseignants revient à sous-former les enfants, les citoyens de demain, les chercheurs d’après-demain, et même les ministres du XXIIe siècle, ce qui, on l’a vu, n’est pas sans danger…

Un autre ministre a envisagé de faire voter les programmes scolaires par les parlementaires ! L’histoire de France avec le label d’une majorité présidentielle ?

Un autre encore cherche à recruter des cafeteurs pour identifier les enseignants meneurs sur Internet. Un autre a décidé que l’on devrait économiser sur les moyens accordés aux enfants en difficulté en supprimant 3000 postes de RASED. Un autre a…

Que criez-vous dans la rue ? C’est le même ?! Et il rêve d’écrire les six lettres de son nom à un tournant majeur du long chemin de l’école ? Mais ignore-t-il que l’histoire l’effacera parce que les semelles des manifestants sont en gomme, eh oui, en gomme d’écolier, maligne et têtue ? En tout cas, voilà une histoire  que des enfants pourraient imaginer. Du moins si un ministre, un autre bien sûr, n’affaiblit pas leurs capacités créatives en remplaçant dans les programmes « l’expression écrite » par une simple « rédaction » et la « poésie » par la « récitation » !

Comment ça, il l’a déjà fait ?...