12 juillet 1978 : grève sur le Tour de France
Albert Londres les avait appelés forçats de la route. Des garçons courageux et obstinés, faisant corps avec leurs machines, pour parcourir par tous les temps les routes du pays, les bords de mer, le flanc des montagnes, tout cela en plein été, pour le plus beau spectacle qui soit : le Tour de France cycliste.
À l’origine étaient les coureurs amateurs, qui pédalaient pour la gloire. Seulement pour la gloire. Mais la gloire passe. Tandis que l’argent… Très tôt, les financiers s’en mêlent et les conflits d’intérêt prennent le pas sur la beauté du geste.
De tour en tour, on voit des équipes « porte-enseigne » supplanter les équipes nationales, voire régionales. Le Tour était une épreuve sportive ? Il devient une attraction. Gratuite, certes, pour le public, toujours plus nombreux. Mais pas pour les coureurs qu’on soumet à des cadences d’enfer. Les médias se sont aussi emparés du pactole. Et les hommes politiques se montrent dans les grandes étapes. Quand on en gagne une, c’est une banque qui offre la médaille. Quand on grimpe vite les cols, c’est une marque de chocolat qui donne la récompense… Eh oui, tout s’achète et tout se vend, même les efforts des sportifs. Ce n’est plus le Tour des ouvriers. C’est le Tour des vacanciers. Les prix s’envolent. Les villes s’endettent pour accueillir les arrivées et les départs. Des villes d’eau, des villes de neige. Des villes riches, donc. Et pourtant, les coureurs restent certainement les sportifs professionnels les plus mal payés. Gagner une étape n’est pas seulement une affaire de prestige. C’est d’abord un petit plus sur le chèque final. Alors, parfois, ils ne sont pas contents. Et ils le font savoir. Être l’homme-sandwich d’un magasin ou d’un saucisson, est-ce raisonnable lorsque déjà, certains sont morts d’avoir voulu gagner ?
Alors, le 11 juillet 1978, après une étape pyrénéenne particulièrement épuisante, lorsque la direction impose au peloton de redescendre dans la vallée au milieu des voitures bloquées dans un énorme bouchon. Au petit matin, le peloton fait face au mépris des dirigeants qui n’entendent pas sa colère. L’étape va en être bousculée ! Pas de sprint, pas d’échappées, et une arrivée à Valence d’Agen groupée, mais à pied… Ils ne veulent pas plus d’argent. Ils veulent du respect. Leur métier est difficile, dangereux. Même s’ils l’exercent par passion. Ils n’acceptent plus d’être les clowns d’un grand cirque dédié au profit de ceux qui eux, ne pédalent jamais. Une étape qui a marqué l’histoire du Tour. Et fait plier ses dirigeants !
Brigitte Blang