C’était en 2007 et il s’agissait de saluer le siècle de vie d’une grande dame.
Bien avant que ce ne fût à la mode, ou dans l’air du temps, si vous préférez…
Soufflez, soufflez les bougies...
On y revient, un siècle, ça fait quoi, deux fois cinquante ans, c’est tout. Si vous avez cet âge-là, suffit de vous imaginer ce que ça peut bien représenter, deux fois ça… Un siècle ? Une éternité. Juste le temps pour une jeune dame de souffler aujourd’hui 100 chandelles… Une jeune dame de 100 ans. Germaine Tillion. Il y a des noms, comme ça, qui te parlent au cœur, dès que tu les entends. Germaine Tillion, ça fait cet effet-là. L’impression de l’avoir toujours connue, peut-être parce que justement, elle a toujours été là. Elle fait partie de ces ethnologues qui ont donné envie à toute une génération « d’aller voir » là-bas, tout là-bas, ce qui se passe, plus loin, au Sud, vers des contrées mal connues, mal aimées, surtout. Pour certains, ce fut le Mali ou le Soudan. Pour elle, c’était l’Algérie, déjà dans les années 30 dans la recherche, alors bien sûr quand ce que l’on nommait, à l’époque « les événements » éclatèrent, on se doute bien de quel côté on l’a trouvée. Comment l’imaginer ailleurs, elle qui avait connu Ravensbrück, et en était sortie ? Sortie en ayant, tout de même, écrit une opérette. Une opérette ? Du fond de l’enfer ? Eh oui… On résiste avec ce qu’on peut, justement, au cœur de l’enfer. (Henri Krasucki racontait qu’il avait tenu en camp en se chantant intégralement un opéra, quand tout devenait vraiment insupportable…) Cette opérette, elle sera donnée ce week-end au Châtelet. S’ils pouvaient jouer à guichets fermés. Quelle revanche ce serait… Germaine Tillion, une femme « debout », à l’heure où certain-e s galvaudent tant le mot. Être une femme debout, c’est sûrement plus facile en 2007, sous les projecteurs, qu’en 40 pour résister, ou qu’en 57 pour dénoncer la torture. Plaider pour les misérables, les sans-logis, les marginaux, les gamins qui dérapent, donner sa voix à ceux qu’on n’écoute pas, aux femmes marquées, aux oubliées, et toujours, inlassablement, s’oublier au point que son pays lui-même ne sait plus très bien qui elle est, ni où la placer. A l’heure où on nous bassine de héros en trompe-l’œil, à l’heure où les valeurs sont sans cesse remises en question, où la télé fait et défait les carrières politiques et humaines, quand de toutes petites gamines ne trouvent rien d’autre pour exister que de se jeter d’un balcon, n’est-il pas temps, mes camarades, de braquer les projecteurs sur les femmes et les hommes qui ont combattu pour la vérité, pour l’humanité, pour la liberté ? Ce n’est pas un hasard si on retrouve son nom associé à ceux de Pierre Vidal-Naquet et Henri Alleg. De toutes les bonnes causes, de tous les combats, Germaine Tillion, de la trempe de Lucie Aubrac, du bois dont on fait les héros, une femme, pour de bon. Reste à attendre maintenant un hommage en temps réel. Mais pour ça, vous savez bien, au royaume des paillettes et du chiqué, il vaut mieux être mort… Alors qu’il nous soit permis, madame, de vous dire simplement : Bon anniversaire…
(Lisez, ou relisez les belles pages de Jean Lacouture « Le témoignage est un combat » ainsi que leurs entretiens « La Traversée du Mal »)
brigitte blang